Séances Séance du 13 février
Séance publique à 15h30, en grande salle des Séances
Note d’information de M. Francisco Rico, associé étranger : « Les nouvelles éditions des classiques Européens »
Communication de M. Jean-Pierre Gutton, sous le patronage de M. Jean DELUMEAU : « A propos de la reconstitution du paysage sonore de jadis ».
L’enregistrement des sons est relativement récent et nous sommes habitués à une civilisation bruyante qui nous prépare mal à être sensible aux sons du passé. Cependant, l’histoire des mentalités incite à ce type de recherche, de même que la relative proximité de l’histoire avec l’ethnologie. Les musicologues ont souvent tenté d’établir des cartes sonores de territoires. R. Muray Schafer, dans un livre traduit en français en 1979 sous le titre Le paysage sonore, a fini d’imposer cette notion de paysage sonore, opposant le « hi fi » (la campagne, la nuit,… ) qui permet de distinguer chaque son et la « Io fi » où les sons interfèrent. L’historien ne doit-il pas reprendre à son compte ce concept de paysage sonore qui conduit à interroger des documents très divers ? Le sujet bénéficie d’abord des recherches sur l’idéal social de chaque époque. Le contrôle des bruits, mais aussi de l’usage des cloches, constituent un des aspects de la civilisation classique. Sans doute est-on encore ici dans le domaine du normatif et de l’exploration de ce qui fut la civilité de l’époque moderne. Mais il y a d’autres angles d’approche de ce thème. Il en va par exemple ainsi des « cris » des métiers, conservés par des chansons ou par l’ample pièce vocale Voulez vous ouyr les cris de Paris de Clément Janequin (1530) qui ont permis de reconstituer les messages publicitaires dans les villes de jadis. Il convient de dire aussi l’apport des archives judiciaires – particulièrement les liasses des séries B des Archives départementales – qui, au travers des plaintes disent la sensibilité au bruit de nos ancêtres. L’histoire des cloches qui a été faite, celle des « crieurs », qui est en cours d’élaboration, sont précieuses. La voix du crieur public appartient à l’espace sonore de la ville. Les « cris » du crieur circulent de bouche à oreille, parfois rappelés dans des procès comme l’attestent les archives judiciaires. Les cloches s’articulent avec le cri pour marquer le temps des habitants et l’ordre urbain. Elles délimitent les silences et l’écoute, imposant une grammaire sonore propre à dire quand travailler, quand agir contre un danger… On peut légitiment objecter que ces éléments de reconstitution du paysage sonore de la rue concernent des groupes populaires. Ce à quoi on peut opposer d’autres documents. Au Xlle siècle, la manière de prêcher, née dans les écoles parisiennes, s’impose. Au pied de la chaire, des « reportateurs » ou tachygraphes recueillent les questions qui interrompent le prédicateur. Parfois les notes sont décousues, preuve de la force de la parole que la plume peine à saisir. A l’époque classique, des auteurs, comme Molière, se défient de l’édition qui réduit le nombre des spectateurs. Ils doivent s’y résoudre si une édition pirate menace. Cette dernière est faite à partir de ce qui a été entendu à la représentation. Une édition « surprise » de Georges Dandin ou le mary confondu, comparée au texte publié, révèle les erreurs d’écoute dues au rire. Et le texte joué est sans doute plus proche de la farce que le texte publié : Clitandre est remplacé par Clystère. Les oublis et les confusions permettent « d’entendre » les réactions du public. Il restera à dire comment la réalisation d’un vieux rêve, enregistrer les sons, modifie la perception du paysage sonore. En 1914 Ferdinand Brunot crée les Archives de la Parole.