L’Académie Le palais

La Coupole du palais Mazarin.

Fondée en 1663, à l’initiative de Jean-Baptiste Colbert, l’Académie royale des Inscriptions et Médailles – car telle était sa première dénomination, avant qu’elle n’acquière son appellation définitive en 1716 – se réunit, tout d’abord, au domicile privé du tout-puissant intendant des finances du Roi. Elle fut ensuite logée dans le palais du Louvre où, à partir de 1701, elle tint ses séances dans une salle sise, à proximité de celle alors attribuée à l’Académie française, au rez-de-chaussée de l’aile Lemercier – dans une salle aujourd’hui dévolue au département des antiquités orientales du musée.

Depuis 1807, en tant que classe d’histoire et de littérature anciennes de l’Institut national de France, créé en 1795 et réformé par Chaptal en 1803, puis après avoir été restaurée de plein droit par Louis XVIII, en 1816, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres occupe – conjointement avec ses quatre Compagnies sœurs qui, réunies ensemble, forment l’Institut –, l’ancien collège des Quatre-Nations, dont l’acte de fondation avait été signé par Mazarin, trois jours avant sa disparition en 1661. Confiée par Colbert à Louis Le Vau, premier architecte du Roi, puis après sa mort, en 1670, à son premier assistant, qui était également son gendre, François II d’Orbay, sa construction, commencée en 1664, ne s’achèvera qu’en 1684, la durée des travaux, qui s’inscrivait dans un programme urbain d’une certaine envergure, ayant été notablement prolongée, en raison de diverses difficultés, notamment d’ordre financier. En traversant la Seine, l’Académie renouait ainsi avec ses origines, et retrouvait la figure tutélaire de Colbert, qui lui avait donné sa première impulsion et avait ouvert la voie de son institutionnalisation.

 

 

 

Destiné, selon les stipulations testamentaires du cardinal de Mazarin, à l’éducation gratuite de 60 écoliers issus des familles aristocratiques et de notables des territoires annexés au Royaume à la suite des traités de Westphalie (1648) et des Pyrénées (1659) – notamment l’Alsace, l’Artois, le Roussillon et Pignerol, d’où son appellation de collège des Quatre-Nations –, le bâtiment n’ouvrit ses portes qu’en 1688, le temps d’expulser un certain nombre d’occupants renâclant alors à quitter des lieux qu’ils avaient indûment investis lorsque le palais était encore en construction (des ouvriers du chantier, un tailleur pour dames, et même un neveu de Mazarin…). Les écoliers accueillis ne seront au final que 30, la dotation disponible pour le fonctionnement du collège ayant très largement fondu, notamment du fait des expropriations, fort onéreuses, qu’il fallut mettre en œuvre pour réunir l’ensemble des parcelles permettant d’édifier le palais selon les plans conçus par son architecte. Quant à la bibliothèque extraordinaire que Mazarin avait, avec l’aide inestimable de Gabriel Naudé, patiemment constituée dans l’hôtel de Chevry-Tubeuf, rue Vivienne, où il résidait depuis 1643, elle emménagea, avec l’ensemble de ses boiseries d’origine, en 1684, dans le pavillon oriental du collège qui avait été édifié à l’emplacement des vestiges arasés de la célèbre Tour de Nesle, de sinistre mémoire ; elle ouvrit ses portes en 1691. Initialement forte de 40 000 volumes (mais dont un certain nombre avait été préempté par Colbert pour être versé dans la bibliothèque du Roi), elle avait la réputation d’être la plus riche de son temps ; elle sera d’ailleurs la première bibliothèque en France librement accessible aux érudits, deux jours par semaine. On ne pouvait rêver plus belle donation pour un collège parisien qui, dans l’esprit de Mazarin, ne devait pas faire pâle figure face à la vénérable Sorbonne, dans la chapelle de laquelle reposait la dépouille de son auguste mentor, le cardinal de Richelieu.

 

 

Indéniablement, avec la bibliothèque Mazarine, dont la sépare une cour d’honneur aux proportions élégantes, la chapelle de l’ancien collège des Quatre Nations, devenue à partir de 1805 un lieu purement laïc aménagé par Léon Vaudoyer pour accueillir les séances solennelles de l’Institut, reste le monument le plus emblématique du palais du quai de Conti. Construite sur un modèle d’inspiration palladienne propre aux églises romaines de son époque, elle est coiffée d’une Coupole – d’où sa désignation commune, par synecdoque – dont le sommet supporte un lanterneau culminant à 44 m de hauteur. De forme parfaitement circulaire à l’extérieur, mais ovale à l’intérieur, on peut lire sur la base du tambour qui la porte le verset suivant, tiré d’Ézéchiel  (XXXI, 17) : Sedebit sub umbraculo eius in medio nationum (« Il siégera sous son ombre parmi les nations »). Initialement une formule d’exécration prononcée contre Pharaon et sa descendance voués à disparaître dans le Shéol, cette sentence, tirée de son contexte biblique immédiat, et devenue aujourd’hui un peu énigmatique, avait été dévoyée de son sens premier pour exprimer, sans doute, une promesse de protection suprême au bénéfice des mânes de Mazarin. Son tombeau était, en effet, destiné, au départ, à trouver précisément place à l’ombre de ce dôme évoquant, selon une tradition bien établie et malgré la sobriété de son décor même, le royaume des Cieux auquel le Cardinal aspirait, et face au maître hôtel de la chapelle dans l’alcôve duquel une statue en pied de l’empereur Napoléon Ier lui succéda ultérieurement – ce qui ne laisse pas de susciter à l’esprit l’idée d’une forme de continuité symbolique. Qu’on ne s’étonne pas de trouver cette effigie solennelle en ces lieux, car Napoléon, élu membre de la première classe de l’Institut en 1797, dans la section de mécanique, avait joué un rôle décisif en faveur de l’attribution, en 1805, à l’Institut, devenu impérial, de la chapelle du collège des Quatre-Nations, alors désaffectée depuis que la Convention en avait ordonné la fermeture en 1793. L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres y organise, tous les ans, le dernier vendredi du mois de novembre, sa séance de rentrée solennelle.

 

 

Œuvre du sculpteur Antoine Coysevox, auquel furent associés Jean-Baptiste Tuby et Étienne Le Hongre, le cénotaphe de Mazarin fut installé dans la chapelle du collège des Quatre-Nations en 1693. Les trois allégories en bronze disposées en contrebas, dues au patient labeur de ces deux derniers, symbolisent, respectivement, la Prudence (dans le gouvernement), la Paix et l’abondance qui en découle (Mazarin n’avait-il concouru à rétablir solidement la paix en France en contribuant  à mettre un terme à la guerre de Trente ans ?), enfin la Fidélité (au royaume de France). Telles devaient être les vertus qu’un homme d’État avisé était invité à cultiver ; c’était une sorte de testament politique fondu dans le laconisme d’une imagerie de bronze, proclamé d’outre-tombe. Au sommet du tombeau, on reconnaît Mazarin agenouillé, la main gauche posée sur le cœur, en geste d’offrande, mais pas d’oraison. Derrière lui, un angelot soutient un faisceau de licteur, qui renvoie à la Rome éternelle, où Mazarin avait grandi sous la protection de la puissante famille Colonna, et à la papauté au service de laquelle il avait débuté sa carrière, avant de rejoindre Richelieu. Surplombant le sarcophage, ses armes, coiffées par une couronne ducale et un chapeau de prélat, s’offrent au regard, entre les représentations de la Religion et de la Charité qui, en complétant son message héraldique, en enrichissent le sens.

 

 

En sortant de la Coupole par l’escalier de la cour d’Honneur, on remarquera, à main gauche, la présence de deux cadrans solaires, l’un situé près de l’ancienne chapelle du palais, l’autre côté bibliothèque Mazarine. Une devise latine composée, lors de la restauration de l’ensemble, en 2016, par la commission des inscriptions et médailles de l’Académie – qui renoua ainsi avec la vocation qui lui était assignée à ses débuts – peut s’y lire aisément : sur le premier cadran indiquant les heures du matin, moment de l’éveil spirituel : Nocte pulsa refulgens mentibus (« Chassant la nuit et illuminant les esprits ») ; sur le second, donnant celles de l’après-midi, propre au mûrissement des travaux de l’esprit : Sol maturat fructus Minervae (« le soleil mûrit les fruits de Minerve »).

 

Depuis la cour d’honneur, l’on accède, par un passage voûté, à une seconde cour, bien plus vaste, encadrée, à l’ouest, par une aile édifiée par Le Vau qui longe la rue Mazarine, et, à l’est, par un ensemble de corps de bâtiments élevés par l’architecte Hyppolite Lebas en 1845-1846, qui se déploient dans la continuité des vestiges d’un long tronçon de la muraille de Philippe-Auguste. C’est au cœur de cette aile que se trouve la grande salle des séances de l’Académie, située, tradition oblige, aux côtés de celle de l’Académie française. Lambrissée, mais sans ostentation, ornée de majestueuses statues en marbre (celles de Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Poussin et Puget), de bustes variés et de portraits peints d’académiciens fameux des XVIIe-XIXe siècles, elle obéit à un plan évoquant, à certains égards, celui du parlement britannique. Un choix fortuit d’aménagement ? Que l’on se remémore l’expression fameuse attribuée à Ernest Renan pour qui les Académies réunies au sein de l’Institut formaient un véritable « parlement des savants ». L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, pour sa part, y tient ses séances hebdomadaires publiques, chaque vendredi, à partir de 15h30.

 

 

 

Dans le bâtiment qui réunit les ailes Le Vau et Lebas, et qui sépare les deux premières cours du palais, est abritée, depuis 1797, la bibliothèque de l’Institut de France. L’Académie y dépose les ouvrages qu’elle reçoit en échange de ses propres publications, concourant ainsi grandement à l’alimenter en livres et revues scientifiques, nombreux et variés, ressortissant aux champs multiples de ses compétences. Les boiseries de la bibliothèque, qui sont remarquables, proviennent de l’abbaye de Saint-Denis, son plan évoque celui de la bibliothèque du Sénat. Sur sa façade donnant sur la grande cour du palais, on peut admirer deux beaux cadrans solaires restaurés en 2007, qui comportent une devise proposée par la commission des inscriptions et médailles de l’Académie, exprimant ce en quoi consiste la vocation académique :  Horas tuas quia breves immortalibus operibus vove (« Puisque tes heures sont courtes, c’est à des œuvres immortelles qu’il te faut les consacrer »). Au fond de la grande cour du palais, une fontaine surmontée d’un buste de Minerve, divine protectrice des arts et des lettres, vient répondre en écho à celui, plus austère et martiale, qui surplombe l’entrée d’honneur de la Coupole donnant sur le parvis du palais. Entourée par deux putti en ceignant le chef casqué de couronnes de laurier et d’olivier, en signe de triomphe, cette composition, due au ciseau du sculpteur, a été disposée au-dessus d’un médaillon orné du faisceau de licteur cher à Mazarin dont elle renouvelle le motif du blason, tout en marquant une forme de continuité propre au génie français, exprimant ainsi l’unité profonde qui anime les lieux depuis l’époque du collège des Quatre-Nations jusqu’à celle du palais de l’Institut et des Académies, par-delà les époques et les aléas de l’histoire.

 

Texte et photos Hervé Danesi