Fouilles archéologiques Mission archéologique suisse-franco-soudanaise de Kerma-Doukki Gel (Soudan)

Présentation

 

Les sites de Kerma et de Doukki Gel constituent un vaste ensemble archéologique qui s’étend sur plus de 22 hectares, à 12 km en amont de la 3e cataracte du Nil, dans l’actuelle province du Nord (الشمالية/ash-Shimaliyah) de la République du Soudan (fig. 1). Séparés d’environ un kilomètre, les deux implantations urbaines sont étroitement liées aussi bien géographiquement qu’historiquement. Elles occupent une position stratégique le long de la vallée, à la croisée d’importantes routes commerciales reliant les régions d’Afrique subsaharienne à la mer Rouge et à la Méditerranée. Les vestiges jusqu’à présent mis au jour sur les deux sites témoignent d’une occupation continue pendant près de trois millénaires, entre la période du Kerma ancien (2500-2050 av. J.-C.) et l’époque méroïtique (290 av. J.-C.-350 ap. J.-C.).

 

La mission conjointe suisse-franco-soudanaise de Kerma-Doukki Gel a été mise en place en 2013 à la demande de la National Corporation for Antiquities and Museums (NCAM) pour faire suite aux travaux menés par la mission suisse de Kerma entre 1975 et 2012. L’équipe pluridisciplinaire réunie pour ce projet est le fruit d’une collaboration internationale associant des archéologues, des historiens, des épigraphistes, des architectes et des chercheurs spécialisés en archéométallurgie, paléobotanique, géomorphologie et archéométrie.

 

La ville antique de Kerma

Les premiers travaux archéologiques sur le site de la ville antique ont été entrepris en 1913 par l’archéologue américain George A. Reisner. Il est principalement intervenu sur l’imposant monument en briques crues situé au centre de l’établissement et désigné par la population soudanaise comme « la deffufa » (fig. 2). Cet édifice et les bâtiments annexes avaient alors été interprétés comme le siège d’un comptoir égyptien de la XIIe dynastie. En 1975, la reprise de la fouille sous la direction de Charles Bonnet, professeur à l’université de Genève, a permis de démontrer que la deffufa était en réalité le centre religieux de la capitale du royaume indépendant de Kouch qui s’étendait à son apogée entre la première et la cinquième cataracte.

 

Les fouilles extensives et les études de topographie urbaine menées sur l’ensemble de la concession ont permis de dresser un plan qui figure parmi les plus complets de la vallée du Nil (fig. 3). L’agglomération a été établie à l’extrémité septentrionale d’une langue de terre entourée de canaux aujourd’hui asséchés et comblés mais qui pouvaient être en eau une partie de l’année. Leur présence et le système de fortifications élaborées qui entouraient la ville participaient ainsi efficacement à la protection de l’établissement situé dans un environnement relativement plat. Plusieurs voies de circulation, notamment un axe nord-sud qui traverse la ville, fixent le tissu urbain. Autour du temple principal et de ses dépendances ont été retrouvés des quartiers d’habitations, des résidences royales, des bâtiments administratifs, une grande salle d’audience circulaire et des chapelles. Des ateliers de productions artisanales ont été mis en évidence en plusieurs points du site et particulièrement autour des lieux de culte. À l’instar d’un grand four en croix destiné à produire des plaques de bronze (fig. 4), dégagé au pied de la deffufa, ces dispositifs témoignent des savoir-faire spécifiques des artisans nubiens dans le domaine de la métallurgie, de la production de faïences et de céramiques.

 

 

 

 

Le site de Doukki Gel

 

 

Au nord de Kerma, les vestiges de Doukki Gel (fig. 5) sont l’objet, depuis 1996, de recherches systématiques qui ont d’abord porté sur les niveaux méroïtiques, avec la fouille d’une grande résidence et d’un temple, puis sur le dégagement de plusieurs temples égyptiens du Nouvel Empire, et enfin sur la découverte de monuments relevant d’une architecture particulière datée des périodes Kerma.

 

Les prospections géophysiques et les sondages réalisés ces dernières années ont permis de mettre en lumière l’extension du site vers le nord et une stratigraphie de plus de 2 m d’épaisseur. Les niveaux mis au jour dans l’un de ces sondages ont livré des restes d’habitats temporaires en matériaux périssables (huttes) alternant avec les vestiges arasés de tours massives, de bastions et de murs d’enceinte qui montrent que la ville était protégée par un puissant système fortifié dès le Kerma moyen et tout au long de son histoire.

 

La ville du Kerma classique est quant à elle caractérisée par un noyau urbain alimenté en eau par deux grands puits et entouré d’un mur d’enceinte disposant de plusieurs entrées flanquées de tours circulaires. Dans la partie ouest de ce noyau urbain a été construit un vaste bâtiment de plan quadrangulaire interprété comme un édifice à vocation cérémonielle et militaire. Plusieurs grands édifices ovales (fig. 6) ou circulaires sont construits à l’extérieur de cette enceinte et sont eux-mêmes protégés par une seconde fortification.

 

Cet ensemble sera presque totalement arasé au moment de la conquête de la Haute Nubie par les armées de Thoutmosis Ier qui détruiront la capitale et soumettront également les établissements ruraux du riche arrière-pays de Kerma. Thoutmosis Ier fait établir à Doukki Gel un ménénou, une fondation royale fortifiée en territoire étranger conquis, destinée à affirmer la domination égyptienne sur la région, à stocker et à protéger les tributs destinés aux services centraux. Plusieurs temples et palais ainsi qu’un imposant système de fortifications sont édifiés sur les restes arasés des monuments de l’époque précédente (fig. 7).

 

Les recherches archéologiques ont pu établir que l’établissement égyptien de Doukki Gel, contrairement à Kerma qui est abandonnée puis transformée en cimetière, est régulièrement reconstruit et modifié jusqu’à l’époque méroïtique.

 

Les travaux qui seront conduits en 2022 et 2023 auront pour objectif la poursuite des dégagements extensifs dans les zones encore inconnues du site de Doukki Gel, afin de compléter notre connaissance de la topographie urbaine de cette ville à caractère cérémoniel. Des études architecturales et des analyses de matériaux permettront de mieux comprendre l’architecture des différents types d’édifices construits en briques crues à Kerma et à Doukki Gel et de tenter d’établir l’origine des certains éléments constructifs originaux. Les vestiges découverts sur les deux sites témoignent d’influences multiples et d’adaptation constantes qu’il semble important de mieux définir en croisant les données issues des études conduites par des spécialistes des différentes disciplines impliquées dans le projet. Des programmes d’études sur l’emploi de la terre, du bois et des végétaux dans l’architecture, sur la chaine opératoire du bronze et de la faïence et sur le stockage alimentaire sont en cours et seront poursuivis dans les années à venir.

 

Un autre objectif est la conservation et la mise en valeur des sites par des opérations annuelles de protection des vestiges (fig. 8) et l’élaboration de protocoles de préservation adaptés à chaque environnement. L’ouverture d’un centre d’information présentant des plans, des restitutions 3D, des photos aériennes des vestiges par époque est en cours d’installation à Doukki Gel. Destiné à la population locale et aux visiteurs étrangers, ce centre fera le lien avec le musée de site déjà établi à Kerma.

 

La mission est soutenue par la Commission consultatives des recherches archéologiques à l’étranger du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, le CNRS (UMR 8167 – Orient et Méditerranée/équipe Mondes Pharaoniques), Sorbonne Université, la fondation Kerma, la National Corporation for Antiquities and Museums (NCAM), la Section Française de la Direction des Antiquités du Soudan (SFDAS) et par l’ANR (projet Nile’s Earth).

 

 

 

 

 

Séverine Marchi

archéologue, ingénieure d’études en archéologie au CNRS, UMR 8167 – Orient et Méditerranée (Équipe Mondes Pharaoniques), directrice de la mission suisse-franco-soudanaise de Kerma-Doukki Gel (Soudan) et co-directrice de la mission du Trésor de Chabaka à Karnak (Égypte) severine.marchi@voila.fr

 

 

Liens complémentaires

http://kerma-doukkigel.ch/
http://www.orient-mediterranee.com/…
https://nilesearth.hypotheses.org/
https://stockagenil.hypotheses.org/1

 

Pour en savoir plus :

Ouvrages de synthèse

  •  Ch. Bonnet, D. Valbelle et S. Marchi, « Le jujubier », ville sacrée des pharaons noirs, Paris, Khéops, 2021.
  • Ch. Bonnet, The Black Kingdom of the Nile, Cambridge (Ma), London, Harvard University Press, 2019.
  • Ch. Bonnet et D. Valbelle, Les temples égyptiens de Panébès « le jujubier » à Doukki Gel, Soudan, Éditions Khéops, Paris, 2018.
  • Ch. Bonnet, La ville de Kerma. Une capitale nubienne au sud de l’Egypte, Lausanne, 2014.

 

Articles choisis

  • Ch. Bonnet, « The cities of Kerma and Pnubs-Dokki Gel », dans G. Emberling et Br. Williams Éd., The Oxford Handbook of Ancient Nubia, Oxford, 2021, p. 201-212.
  • Ch. Bonnet, « Une mission archéologique au Soudan durant 50 années », dans S. Vuilleumier et P. Meyrat Éd., Sur les pistes du désert, Mélanges offerts à Michel Valloggia, 2019, p. 11-17.
  • Ch. Bonnet, « Doukki Gel, une ville africaine aux frontières de l’Égypte », CRAI, nov. déc. 2017, Paris, p. 1347-1366.
  • Ch. Bonnet, S. Marchi et D. Valbelle, « Les sites de Kerma et de Doukki Gel » dans Cinquantenaire SFDAS, Soleb-Bleu Autour, 2020, p. 71-95.
  • Ch. Bonnet et S. Marchi, « The Egyptian occupation and the indigenous city of Dokki Gel in the early 18th Dynasty », Sudan and Nubia 23, 2019, p. 135-143.
  • S. Marchi, « Découvertes récentes sur le site de Doukki Gel : les fortifications de la période Kerma », dans M. Maillot Éd., Actualité de la recherche archéologique française au Soudan, Les routes de l’Orient ancien. Hors Série 3, 2018, p. 31-45.
  • S. Marchi, « Entre arrière-pays et capitale, l’approvisionnement et le stockage des céréales dans le royaume de Kerma (Soudan) », dans A. Bats Éd., Les céréales dans le monde antique, Nehet 5, 2018, p. 197-216.
  • S. Marchi, « Le royaume de Kerma à la fin du Moyen Empire », dans G. Andreu-Lanoë et F. Morfoisse Éd., Sésostris III et la fin du Moyen EmpireCRIPEL 31, 2017, p. 85-102.
  • D. Valbelle, « Sièges nominatifs et chapelles ‘de confréries’ », BIFAO 120, Le Caire, 2020, p. 449-478.
  • D. Valbelle, « Inbt, snbt et mnnw : des dispositifs défensifs particuliers aux frontières de l’Égypte », dans Sandrine Vuilleumier et Pierre Meyrat Éd., Sur les pistes du désert, Mélanges offerts à Michel Valloggia, Gollion, 2019, p. 243 253.
  • F. W. Rademakers, G. Verly, P. Degryse, F. Vanhaecke, S. Marchi, Ch. Bonnet, « Copper at ancient Kerma : a diachronic investigation of alloys and raw materials », Advances in Archaeomaterials 1, 2021.

 

Légendes des illustrations

  • Fig. 1 : Carte du Soudan et plan de situation des sites de Kerma et Doukki Gel (© Mission Kerma-Doukki Gel / S. Marchi, M. Berti)
  • Fig. 2 : La ville antique de Kerma et le temple principal, la deffufa (© Mission Kerma-Doukki Gel / B.-N. Chagny)
  • Fig. 3 : Kerma, plan d’ensemble de la ville antique (© Mission Kerma-Doukki Gel / M. Berti)
  • Fig. 4 : Le four de bronzier de Kerma (© Mission Kerma-Doukki Gel / G. Verly)
  • Fig. 5 : Vue générale du site de Doukki Gel (© Mission Kerma-Doukki Gel / B.-N. Chagny)
  • Fig. 6 : Vue aérienne du palais A d’époque Kerma recouvert par les vestiges de la période égyptienne (© Mission Kerma-Doukki Gel / B.-N. Chagny)
  • Fig. 7 : Doukki Gel, plan d’ensemble des vestiges d’époque Kerma et du ménénou de Thoutmosis Ier (© Mission Kerma-Doukki Gel / M. Berti)
  • Fig. 8 : Doukki Gel, vue de la porte nord-ouest restaurée et de la zone de fabrication des briques pour les opérations de conservation (© Mission Kerma-Doukki Gel / S. Marchi)