Fouilles archéologiques Projet « Uacúsecha. Aux origines du royaume tarasque, Michoacén (Mexique) »

Projet « Uacúsecha. Aux origines du royaume tarasque, Michoacén  (Mexique) »

À l’arrivée des Espagnols, la civilisation tarasque dominait une grande partie de l’Ouest mexicain (Michoacán et territoires limitrophes du Jalisco). Les Tarasques, ancêtres des actuels Indiens puhépechas (plus de 120 000 locuteurs), étaient alors, et depuis peu, organisés en un État puissant, rival de l’empire aztèque et dont ils avaient arrêté l’expansion vers l’ouest. Peu connus du grand public, ils sont pourtant les inventeurs d’une des civilisations majeures de la Mésoamérique postclassique.

D’après la Relation du Michoacan (ou Relación de Michoacán), un manuscrit élaboré en 1540, la naissance du royaume tarasque serait intimement liée à l’histoire des Uacúsechas, un groupe arrivé dans la région de Zacapu aux alentours du XIIIe siècle. C’est précisément sur cette région que portent les recherches du projet : elles visent à comprendre les changements démographiques, sociopolitiques et culturels qui marquent la période et sont censés faire contraste avec les époques antérieures. En contrepoint de l’histoire officielle livrée par les chroniques, le projet s’intéresse à la genèse du royaume tarasque en interrogeant ses manifestations archéologiques. De 2010 à 2014, le programme avait d’abord centré ses efforts sur un phénomène essentiel : l’émergence de sites urbains inédits dans la zone volcanique du Malpaís de Zacapu, un phénomène coïncidant avec l’arrivée présumée des Uacúsechas dans la région. Ces établissements précèdent le développement du royaume tarasque dont la dernière capitale, Tzintzuntzan, se situait dans le bassin de Pátzcuaro. Depuis 2015, les recherches ont élargi leur champ chronologique et spatial pour envisager les conditions ayant précédé l’émergence de ces sites urbains et suivi leur abandon au début du XVe siècle. Il s’agit donc de replacer les sites du Malpaís dans une trajectoire régionale qui témoigne de diverses ruptures. Ces dernières se manifestent archéologiquement par des phases d’abandon ou de création de sites qui semblent liées à des phénomènes migratoires d’ampleur variable.

Les questions abordées impliquent une recherche interdisciplinaire mettant à profit un large spectre de méthodes à la disposition de l’archéologie : géomatique, prospection géophysique, télédétection LiDAR, vulcanologie, archéozoologie, anthropologie biologique, analyses isotopiques, paléogénétique, archéomagnétisme, géoarchéologie… Ces diverses approches permettent de caractériser, dans la diachronie, les modalités d’occupation de la région, d’envisager les modalités d’acquisition et de gestion des ressources (agricoles, matières premières d’origine volcanique…) et de détecter les marqueurs bio-archéologiques de la mobilité humaine. Trois périodes ont fait l’objet d’une attention plus particulière et ont donné lieu à des opérations de terrain de natures diverses.

La première est l’Épiclassique (600-900 ap. J.-C.). Les prospections et fouilles récentes permettent de réévaluer l’organisation sociale et politique de cette période. La découverte, en 2015, de deux sites majeurs (La Mesa et El Rincón de Las Flores), détectés grâce respectivement au LiDAR et à des informateurs locaux, constitue une donnée de premier ordre (fig. 1). Pourvus de complexes cérémoniels monumentaux aux dimensions inédites pour la région, ces centres de pouvoir étaient dirigés par une élite dont on a pu découvrir quelques tombeaux sur le site du Rincón. Celle-ci fondait sans doute une partie son pouvoir sur l’exploitation de gisements de dacite dont les mines-ateliers ont été découvertes non loin de ces sites. La période prend fin au Xe siècle quand intervient l’éruption du Malpaís Prieto laquelle a pu être datée par archéomagnétisme par les vulcanologues de l’Université nationale autonome de Mexico (UNAM). Elle coïncide avec l’abandon de la zone nord du Malpaís tandis qu’au sud le site d’El Palacio se développe rapidement au Postclassique ancien (900-1200 ap. J-C.) (fig. 2). Les recherches conduites sur ce site montrent que ses habitants entretenaient alors des liens privilégiés avec la culture toltèque du Mexique central dont elle imitait les productions les plus emblématiques. Les fouilles et prospections systématiques entreprises montrent l’évolution d’un centre urbain dont l’occupation paraît interrompue jusqu’à l’arrivée des Espagnols.

Enfin, les travaux conduits dans le cadre du projet permettent aussi de combler peu à peu les lacunes chronologiques qui concernent la période postérieure à l’abandon des grands sites urbains du Malpaís. Il s’agit là du Postclassique récent (1400/1450-1522 ap. J.-C.) et des débuts de la période coloniale (1522-1580 ap. J.-C.). La découverte du site de Las Iglesias/Cuarún, un village indien occupé peu après la Conquête, est une nouveauté majeure. Sa fouille commence à livrer de nombreux vestiges qui témoignent tant de l’adaptation des Tarasques aux nouvelles conditions imposées par les Espagnols que de l’introduction d’espèces animales et de techniques nouvelles venues d’Europe (fig. 3).

Grégory Pereira

directeur de Recherche au CNRS, UMR 8096 « Archéologie des Amériques » CNRS / Université Paris 1. Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie (Nanterre)


Informations complémentaires

Institutions scientifiques partenaires :

Financements

Collaborateurs

  • Luis Barba (UNAM, IIA, Mexique)
  • Isaac Barrientos (master Estudios mesoamericanos UNAM)
  • Jorge Blancas (UNAM, IIA, Mexique)
  • Alejandra Castañeda (doctorante, université de Paris 1)
  • Annick Chauvin (UMR 6118, université de Rennes 1)
  • Véronique Darras (UMR 8096, CNRS)
  • Antoine Dorison (doctorant, université de Paris1)
  • Michelle Elliott (UMR 7041, université de Paris 1)
  • Brigitte Faugère (UMR 8096, université de Paris 1)
  • Marion Forest (post-doctorat Fondation Fyssen, ASU)
  • Céline Gillot (post-doc, université de Montréal)
  • Elsa Jadot (post-doctorat Fondation Fyssen, université de Leyde)
  • Nicolas Latsanopoulos (Bureau de l’archéologie, Conseil général de Seine-Saint-Denis)
  • Karine Lefebvre (CIGA, UNAM, Morelia, Mexique)
  • Aurélie Manin (post-doctorat, Bourse Marie Curie, université de York)
  • Isabel Medina (ENCRyM, INAH, Mexique)
  • Dominique Michelet (UMR 8096, CNRS)
  • Sélim Natahi (doctorant, PACEA, université de Bordeaux)
  • Agustín Ortíz (UNAM, IIA, Mexique)
  • Laura Suárez Parellón (ENCRyM, INAH, Mexique)
  • Claus Siebe (UNAM, Mexique)
  • Christina Siebe (UNAM, Mexique)
  • Osiris Quezada (master Estudios mesoamericanos UNAM)