Séances Vendredi 21 juin 2024
– Note d’information de M. Ludovic Laugier, conservateur en chef au musée du Louvre, sous le patronage de M. Alain PASQUIER : « La zingarella Borghèse, une artémise du IVe siècle av. J.-C. complétée par Nicolas Cordier ? »
– Communication de M. Nicolas Weill-Parot, directeur d’études à l’EPHE, sous le patronage de MM. Jean-Marie MOEGLIN et Jacques VERGER : « Un concept sous-estimé de la science médiévale : le contact virtuel (XIIIe-XIVe s.). »
Résumé
La philosophie naturelle aristotélicienne, qui servait de cadre à la science médiévale universitaire, imposait un contact entre ce qui meut ou agit et ce qui est mû ou subit : la main doit toucher constamment l’objet pour le déplacer. Mais dès le XIIIe siècle, la distinction entre « contact mathématique » ou corporel (lorsque les corps se touchent par leurs surfaces) et « contact virtuel » (lorsque l’agent agit sans toucher le patient) est utilisée de façon significative pour rendre compte de phénomènes semblant défier l’axiome contiguïste d’Aristote. La communication souhaite saisir le sens de plusieurs usages scientifiques suggestifs de la notion de contact virtuel, et en explorer les racines théologiques et philosophiques. Dans ses écrits théologiques, Thomas d’Aquin s’en sert pour penser la localisation des substances spirituelles (anges ou démons) et leur action sur les corps physiques. Plusieurs commentaires du XIIIe siècle sur la Physique d’Aristote utilisent la notion pour expliquer le pouvoir des « lieux naturels » et l’influence des astres sur le monde inférieur. Le passage où Roger Bacon évoque le cas des projectiles sera particulièrement scruté, car l’usage qu’il fait de cette notion conduit à nuancer l’interprétation traditionnelle de ces lignes. Plus tardivement, Jean Duns Scot, considère, quant à lui, qu’Aristote a exigé seulement le « contact virtuel » et que, de ce fait, le « contact mathématique » est, pour ainsi dire, facultatif. Guillaume d’Ockham et Walter Burley rejettent cette interprétation, mais pour des raisons opposées. Les usages scientifiques du contact virtuel sont divers, complexes et parfois contradictoires.
Mots-clefs : contact virtuel – science scolastique médiévale – commentaires de la Physique d’Aristote — action à distance – substances spirituelles.
Abstract
Aristotelian natural philosophy, which served as the framework for medieval university science, imposed contact between the mover or the agent and what is moved or the patient: the hand must constantly touch the object in order to move it. But from the 13th century onwards, the distinction between « mathematical contact » (when bodies touch each other by their surfaces) and « virtual contact » (when the agent acts without touching the patient) was used significantly to account for phenomena that seemed to defy Aristotle’s contiguous axiom. The aim of this paper is to grasp the meaning of several suggestive scientific uses of the notion of virtual contact, and to explore its theological and philosophical roots. In his theological writings, Thomas Aquinas uses it to account for the location of spiritual substances (angels or demons) and their action on physical bodies. Several 13th-century commentaries on Aristotle’s Physics use the notion to explain the power of « natural places » and the influence of the stars on the lower world. The passage in which Roger Bacon discusses the case of projectiles will be particularly scrutinized, as his use of the notion leads to nuances in the traditional interpretation of these lines. Later on, John Duns Scotus considered that Aristotle had required only « virtual contact » and that, as a result, « mathematical contact » was, so to speak, optional. Guillaume d’Ockham and Walter Burley reject this interpretation, but for opposite reasons. The scientific uses of virtual contact are diverse, complex and sometimes contradictory.
Keywords: virtual contact — medieval scholastic science — commentaries on Aristotle’s Physics — action at a distance — spiritual substances.