Coupoles La notion de “langue universelle”
par M. Robert MARTIN, président de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres –
Résumé : En donnant toute sa place à la langue comme support de la culture, on peut éclairer aussi la notion si importante de « langue universelle ». En 1784, l’Académie de Berlin a mis au concours le sujet que l’on sait : « Qu’est-ce qui a fait de la langue française la langue universelle de l’Europe ? Par où mérite-t-elle cette prérogative ? Peut-on présumer qu’elle la conserve ? » Il est étonnant qu’à aucun moment, l’Académie ne se soit interrogée sur ce qu’est une langue universelle, sur les conditions qui doivent être satisfaites pour qu’une langue, en l’occurrence le français, puisse être dite « universelle ». La question pourtant n’est pas sans conséquence : si plusieurs définitions étaient envisageables, s’il existait plusieurs sortes de langues universelles, si l’idée de culture s’y mêlait, les réponses pourraient fortement diverger. Une brève réflexion sur les critères définitoires devrait suggérer qu’en effet plusieurs approches sont possibles et que du fait même l’universalité est peut-être moins exclusive qu’il n’y paraît.
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Pour clore cette séance, je voudrais essayer de montrer qu’en donnant toute sa place à la langue comme support de la culture, on peut éclairer aussi la notion si importante de « langue universelle ». En 1784, l’Académie de Berlin a mis au concours le sujet que l’on sait : « Qu’est-ce qui a fait de la langue française la langue universelle de l’Europe ? Par où mérite-t-elle cette prérogative ? Peut-on présumer qu’elle la conserve ? » Il est surprenant qu’à aucun moment, l’Académie ne se soit interrogée sur ce qu’est une langue universelle, sur les conditions qui doivent être satisfaites pour qu’une langue, en l’occurrence le français, puisse être dite « universelle ». La question pourtant n’est pas sans conséquence : si plusieurs définitions étaient envisageables, s’il existait plusieurs sortes de langues universelles, si l’idée de culture s’y mêlait, les réponses pourraient fortement diverger. Une brève réflexion sur les critères définitoires devrait suggérer qu’en effet plusieurs approches sont possibles et que du fait même l’universalité est peut-être moins exclusive qu’il n’y paraît.
Les critères définitoires : de l’extension à l’intension
Dans l’esprit des Académiciens de Berlin, le critère est selon toute apparence extensionnel : le français de l’époque est universel parce qu’il est partout en usage. Le prix a été partagé entre deux lauréats, ex aequo : l’un, bien connu, est Antoine de Rivarol, l’auteur de l’essai intitulé De l’Universalité de la langue française ; discours qui a remporté le prix de l’Académie de Berlin, Paris, 17841 ; l’autre, injustement oublié, est l’Allemand Johann Christoph Schwab, Professeur de philosophie et de logique à Stuttgart, excellent connaisseur de la France et du français, qui a rédigé son texte dans sa langue mais qui aurait pu le faire en français, et dont le mémoire a été traduit en 1803 (par un chanoine dijonnais, Denis Robelot), sous le titre de Dissertation sur les causes de l’universalité de la langue française et la durée vraisemblable de son empire. Moins brillant sans doute que Rivarol mais d’une singulière perspicacité, Johann Christoph Schwab2 est seul à situer correctement le débat. La première partie de son Mémoire, de portée générale, s’intitule « Développement des causes principales de la propagation d’une langue ». Cette notion de propagation revient ensuite tout au long du texte : le critère définitoire retenu est explicitement extensionnel.
Sans doute aurait-il fallu se demander quelle proportion de francophones est requise pour que l’étiquette s’applique ; l’universalité en l’occurrence est limitée à l’Europe, et pour cause : aux Amériques, comme on disait alors, le français se borne à des enclaves3 et en Asie, il est quasiment inusité ; de surcroît, elle est le fait d’une élite ; le privilège du français, au XVIIIe siècle, touche les cours princières et, dans une moindre mesure, les milieux savants, particulièrement dans l’Europe du Nord ; le français de l’époque est comparable en cela au latin médiéval, lui aussi « universel », et qui était le latin des clercs : rien de commun avec une extension de masse. L’universalité en cause, tout extensionnelle qu’elle est, est une universalité restreinte.
La situation est actuellement bien différente pour l’anglais : son expansion tend vers la généralisation. Non pas que le monde entier parle l’anglais, mais dans le monde entier existent des locuteurs pour dialoguer en anglais. Les diplomates s’expriment en anglais ; les colloques scientifiques se tiennent de plus en plus en anglais ; et, comme chacun sait, le ciel des tours de contrôle est anglais depuis toujours. Dès lors, le critère extensionnel change très nettement. Et les conséquences d’une universalité ainsi conçue ne laissent pas d’inquiéter. Quand l’extension tend à devenir générale, le danger existe d’une position à ce point dominante que les autres langues s’en trouvent gravement lésées. Si une langue « universelle » se substituait peu à peu à toutes les autres, ce serait extrêmement dommageable. Là encore, on citera Johann Christoph Schwab : « Les liaisons étendues qui se sont formées de tous côtés entre les Européens, écrit-il, leur rendent un instrument universel de communication absolument nécessaire » (p.171) ; cependant, tout en plaidant pour le français, il ajoute : « mais que chaque nation travaille en même temps à perfectionner sa langue naturelle ; qu’elle veille sur sa conservation ; car, avec toute l’estime que j’ai pour la langue française, je suis bien éloigné de souhaiter qu’elle occupe, seule, la place de toutes les langues de l’Europe ». Schwab était conscient que toute langue est un inestimable trésor : une langue, toute langue, procure une vision du monde irréductible à toute autre ; elle porte la trace d’une histoire qui se perd dans les profondeurs du temps ; elle recèle les mentalités et les usages du groupe qui la pratique. On comprend l’attachement que suscitent toutes les langues, nationales, régionales, voire dialectales ; actuellement les dialectes et les patois disparaissent les uns après les autres, et c’est une perte irremplaçable. Si l’universalité d’une langue devait s’apparenter à un monopole, ce serait un appauvrissement désastreux.
La menace est encore lointaine. Mais peut-être n’est-il pas superflu d’évoquer maintenant une autre approche de l’universalité, non plus en termes extensionnels, mais intensionnels, c’est-à-dire en faisant une plus juste place aux fonctions et aux propriétés du langage : une approche qualitative, culturelle, partagée et non plus exclusive.
Pour une approche intensionnelle de l’universalité
Dans une première interprétation, la langue universelle définie en intension (en termes de propriétés, et non plus en extension) apparaît comme un artéfact. C’est le cas de la langue universelle de Leibniz : aux yeux de Leibniz (De Arte Combinatoria, 1666), les langues naturelles, l’allemand, le français, le latin ou le grec, souffrent, pour se prêter à la recherche de la vérité, d’une insuffisante rigueur, et il faut donc leur substituer une langue artificiellement construite. Il est certain que l’application des signes linguistiques est par nature imprécise ; voyez un couple comme jeune et vieux : impossible de marquer entre ces contraires aucune limite nette ; même en admettant une période où l’on n’est ni jeune ni vieux, rien ne permet de fixer de façon stricte les âges que ces vocables recouvrent ; les signes linguistiques s’accommodent du continuum et du flou. La langue universelle de Leibniz est au contraire un langage mathématique rigoureusement déterminé, dont les signes véhiculent des valeurs discrètes, sans aucun recouvrement. L’ennui, c’est qu’un tel langage se prête au calcul mais d’aucune manière à l’inépuisable inventivité que requiert le discours ordinaire. La tentative de Leibniz est restée sans lendemain, non plus que celle de John Wilkins et de son Philosophical Language (de 1668), au reste conçu dans un dessein cryptographique. Même quand la base se trouve dans les langues naturelles, comme pour l’espéranto, de source essentiellement romane, ou pour le volapük, de source essentiellement germanique, l’échec semble inévitable. L’artéfact linguistique se prête mal à l’usage ordinaire, et très vite les prétentions d’universalité sont déçues4.
Seule une langue naturelle peut tendre à l’universalité dans l’usage ordinaire, car seules les langues naturelles remplissent les trois fonctions principales dévolues à une langue : la fonction communicative, la plus visible ; la fonction cognitive, la plus profonde ; la fonction expressive, la plus subtile5. Qu’une langue serve à communiquer, c’est l’évidence ; un langage est fait pour l’échange ; même des systèmes de signes rudimentaires, comme celui du code de la route, ont pour fonction de communiquer des informations ou de marquer des interdits. Mais les langues naturelles vont bien au-delà ; elles ont pour objet de conceptualiser les choses et du fait même de permettre l’élaboration de la pensée ; une langue est un système qui structure le réel, qui organise le pensable, qui conceptualise les données du monde ; et chaque langue le fait à sa façon6. Notre regretté Confrère Emile Benveniste a magnifiquement démontré que la logique d’Aristote ne serait pas ce qu’elle est si Aristote l’avait conçue dans une langue autre que le grec. Citons aussi, dans un registre bien différent, sir Michael Edwards, de l’Académie française : « En français, pour un anglophone, tout change de face, écrit-il, il ne lui semble plus habiter le monde qu’il avait cru indéniablement tel qu’il le voyait. Non seulement les noms des êtres et des choses ne sont plus les mêmes, mais encore la façon de nommer fascine par son originalité. Il s’aperçoit que, pour saisir le réel comme un Français, il faut développer, pour ainsi dire, une deuxième conscience, un mode jusqu’alors inconnu de penser, de sentir, de parler7 ». Par delà la fonction communicative, la fonction cognitive du langage, culturelle si l’on préfère, s’impose en effet avec la plus grande force. Il s’y ajoute la fonction expressive, dont l’aboutissement est esthétique et littéraire. Une œuvre littéraire est à tel point liée à la langue qui l’a fait naître que sa traduction s’apparente toujours à une transposition. On connaît l’aphorisme paradoxal de l’écrivain allemand Jean-Paul : « Ce qui se laisse traduire ne vaut pas d’être traduit » ; l’équivalence en somme s’arrête au texte le plus banal ; le texte littéraire quant à lui est si indissociable de sa langue qu’il ne peut exister d’équivalence stricte entre l’original et sa traduction : une traduction peut certes être de son côté un chef-d’œuvre, mais c’est toujours dans un autre style, dans un autre mode, dans une autre vision des choses. Bref, par ses fonctions cognitives et expressives, par sa dimension culturelle en un mot, le langage dépasse infiniment la seule communication.
Or l’universalité extensionnelle jusqu’ici évoquée touche quasi exclusivement la fonction communicative. L’anglais universel, souvent baragouiné, est un instrument commode pour se faire comprendre8. Mais l’usage communicationnel, pour important qu’il soit, ne réalise jamais qu’une des fonctions du langage. Même s’ils sont capables d’échanger en anglais, les locuteurs continuent à penser (et à rêver) dans leur langue, et les écrivains à y produire leur œuvre. Dès lors, une autre forme d’universalité se dessine, non plus d’extension mais d’excellence, non plus de communication, mais de culture. Les grandes cultures, conçues comme le patrimoine le plus précieux de l’humanité, sont indissociables de la langue qui les fonde. En conséquence une langue peut être dite universelle dès lors qu’elle est la langue d’une culture universelle. La définition de l’universalité langagière change alors du tout au tout. L’universalité y est qualitative ; elle est partagée ; elle apparaît comme un bien commun. C’est le plurilinguisme qu’il convient alors de promouvoir, et c’est là une des valeurs fondatrices de la culture européenne, sous-tendue qu’elle est par la double tradition grecque et latine.
Des propriétés propices à l’universalité ?
Forts d’une approche intensionnelle (et non plus extensionnelle) de l’universalité, nous allons brièvement nous demander si certaines propriétés ne peuvent pas contribuer à l’expansion d’une langue ou du moins la soutenir. Nous distinguerons à cet effet des propriétés inhérentes et des propriétés afférentes. Les propriétés inhérentes appartiennent à la langue en tant que langue. Les propriétés afférentes se développent seulement dans un contexte historique et sociologique favorable. Ainsi, certaines langues ne sont pas pourvues d’une écriture ; la tradition écrite confère, en comparaison de la seule tradition orale, un avantage évident. De même une langue qui possède dans telle ou telle aire le statut de langue officielle est elle aussi mieux dotée qu’une autre. Des propriétés comme celles-ci ne sont pas inhérentes, mais afférentes.
Des propriétés inhérentes peuvent-elles faire par essence la supériorité d’une langue ? Rivarol est allé dans ce sens en développant l’idée de la clarté française : « cette langue sera toujours retenue dans la tempête par deux ancres, sa littérature et sa clarté », dit-il (p.58). De là aux jugements à l’emporte-pièce, il n’y a qu’un pas : « si l’anglais a l’audace des langues à inversions, écrit-il, il en a l’obscurité, et (…) sa syntaxe est si bizarre que la règle y a quelquefois moins d’applications que d’exceptions » (p.45). Pourquoi diable le français paraît-il si clair à Rivarol et l’anglais si bizarre ? On en soupçonne la raison : c’est la langue dont il a l’habitude, dans laquelle spontanément il s’exprime, au reste avec une admirable aisance. Voyez les schèmes syntaxiques. Dans les langues qui connaissent l’opposition du verbe et du nom, toutes les suites du sujet (S), du verbe (V) et de l’objet (O) sont attestées, pas seulement la suite SVO (comme dans le schème préférentiel ,si « clair », du français) : OVS (c’était possible en ancien français), SOV (comme en turc, en coréen, en japonais ou encore dans la subordonnée allemande), VOS (comme en malgache)9. Aucune supériorité de tel ordre sur tel autre ; ce ne sont que les traductions également admissibles d’une même donnée profonde, celle de la relation en tant que relation. Méfions-nous de l’idée d’une supériorité inhérente : elle est à manier avec prudence10.
Tout donne à penser en revanche que des propriétés afférentes peuvent être propices à l’expansion universelle. On peut en distinguer de plusieurs espèces : l’équilibre de la stabilité et de la vitalité ; la commodité des accès ; la richesse de l’héritage. Elles forment le champ de ce que l’on appelle à bon droit la « politique linguistique »11.
– Une langue se prête d’autant mieux à la visée universalisante qu’elle est sous-tendue par un juste équilibre entre stabilité et vitalité. La stabilité est dans le respect de la tradition, de la correction grammaticale et de la justesse du vocabulaire ; la vitalité dans la diversité et dans l’enrichissement. Une langue qui bénéficie d’une Institution qui veille à son usage et à ses normes est une langue privilégiée : c’est le cas notamment du français grâce à l’Académie française. Dès lors aussi qu’une langue est parlée dans diverses régions du monde, elle acquiert une diversité qui en accroît la richesse : ainsi de l’anglais, de l’arabe, de l’espagnol et du français : le français manifeste une extraordinaire vitalité par sa diversité régionale et sociale12.
– L’universalité est liée par ailleurs à l’accessibilité de la langue, à la facilité de son apprentissage, à la qualité et à la disponibilité des ouvrages qui en traitent. Une riche tradition grammaticale et lexicographique accroît les chances qu’une langue se répande ; l’anglais et le français sont à cet égard parmi les plus favorisées. Il s’y ajoute désormais l’accessibilité électronique. Ainsi la mise à disposition gratuite sur l’Internet du Trésor de la langue française a été, en 2002, un événement considérable : le nombre des consultations se compte désormais par millions chaque mois. Un grand nombre de dictionnaires, dont le Dictionnaire de l’Académie dans ses éditions successives, sont librement accessibles sur la toile : c’est un progrès déterminant. Dans le domaine de la terminologie, on dispose d’outils remarquables : l’Office de la langue française du Québec par exemple offre, par son Grand dictionnaire terminologique, quelque trois millions de termes français et anglais définis et traduits. Quant aux Bibliothèques électroniques (notamment Gallica de la Bibliothèque nationale de France), elles apparaissent comme un formidable outil de promotion de la culture d’un pays et conséquemment de sa langue. Les autorités, notamment le CNRS, prêtent aussi au traitement automatique une attention accrue. Les outils se multiplient (surtout les analyseurs morphologiques et syntaxiques), mais la tâche est immense, aussi déterminante pour la linguistique théorique que pour les applications. Dans ce champ de recherche prometteur, peut-être manque-t-il encore en France le souffle d’une politique cohérente ; les efforts restent un peu dispersés ; mais rien n’est perdu, au contraire13.
– Une autre propriété afférente enfin tient à l’héritage et à l’influence qu’une langue exerce au cours de son histoire. Plus une langue est riche d’échanges, et plus elle tend à l’universalité. Le français jouit à cet égard d’une situation exceptionnelle. Il oriente vers les langues classiques, le latin et le grec, mais aussi vers les parlers germaniques ; au-delà de son appartenance au domaine roman, il apparaît comme un lieu privilégié de synthèse. Le grand dictionnaire étymologique de W. von Wartburg, le FEW (Französisches Etymologisches Wörterbuch), consacre 14 volumes au fonds grec et latin, mais trois autres au fonds germanique, un autre encore aux langues diverses14 : c’est une belle illustration de la richesse historique du français. Il y a plus : le français a exercé au cours de l’histoire une influence déterminante sur les langues européennes, en même temps qu’il a été le réceptacle de très nombreux emprunts. Par l’anglo-normand (le français d’Angleterre au Moyen Âge), l’anglais a hérité d’un vocabulaire roman dans les proportions que l’on sait. Un nombre considérable de nos vocables est passé par emprunt dans les langues voisines, et inversement : le français apparaît ainsi comme un carrefour de langues, dont l’étude ne peut être que féconde.
Voilà donc tout un ensemble de propriétés qui favorise une universalité non plus extensionnelle mais qualitative, une universalité qui, à des degrés divers, est le fait des grandes langues de culture. Le français n’est plus, hélas, la langue universelle à la Rivarol ; en extension, il a été distancé ; le besoin, impératif, d’une langue de communication universelle exige de plus en plus la connaissance au moins élémentaire de l’anglais. Mais, tout autant que l’anglais, le français et d’autres langues tiennent une place éminente par leur universalité culturelle : la visée de l’universalité d’excellence, qui est une universalité partagée et non pas exclusive, requiert désormais les plus grands efforts.
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NOTES
1 Cf. Paul Imbs, De l’universalité de la langue française d’après et après le discours de Rivarol, 1784, Institut de France, Séance publique des cinq Académies, 23 octobre 1984.
2 Alors que Rivarol s’y est à peine arrêté, Johann Christoph Schwab s’applique à mesurer les chances que le français conserve son avantage : « la langue anglaise peut, écrit-il (p.149), en suivant le rapport des accroissements de l’Amérique septentrionale, y acquérir un empire prodigieux. » C’était prémonitoire.
3 Surtout depuis le traité de Paris de 1763 et l’abandon de la « Nouvelle-France ».
4 En traduction automatique, l’idée d’un langage-pivot a de son côté été abandonnée : les recherches privilégient les couples de langues, sans le passage par un artéfact universel qui ne peut être que réducteur.
5 On reconnaît là les distinctions de Karl Bühler.
6 On renvoie naturellement aux travaux désormais classiques d’Edward Sapir et Benjamin Whorf.
7 Dans le recueil D’autres langues que la mienne édité par Michel Zink, p.235.
8 On sait au reste que l’expansion extensionnelle est fortement soutenue par des facteurs tout à fait extérieurs : par le poids politique et plus encore par la puissance économique. Aussi bien Schwab que Rivarol l’ont vu avec justesse : une langue s’impose d’autant plus que les nations qui la pratiquent dominent par leur économie et leur influence politique. Ainsi Rivarol : « Il arriva donc, écrit-il, que nos voisins, recevant sans cesse des meubles, des étoffes et des modes qui se renouvelaient sans cesse, manquèrent de termes pour les exprimer : ils furent comme accablés sous l’exubérance de l’industrie française, si bien qu’il prit comme une impatience générale à l’Europe, et que, pour n’être plus séparé de nous, on étudia notre langue de tout côté » (p.40). Rivarol sait aussi combien est important pour la langue française le rôle qu’elle tient dans la diplomatie : « les puissances l’ont appelée dans leurs traités ; elle y règne depuis les conférences de Nimègue » (p.57).
9 Seules sont quasiment inexistantes, et peut-être contraires à ce que Schwab appelle l’ « ordre naturel », les suites OSV et VSO où V et O ne sont pas contigus.
10 Elle est pertinente tout au plus au regard de la richesse. Certes toute langue est parfaitement adaptée aux besoins de la communauté qui la parle ; mais les langues sont inégalement armées face aux exigences de la modernité. C’est par exemple une relative faiblesse de l’arabe (par ailleurs exceptionnellement privilégié par la stabilité de l’arabe littéral et par l’extrême diversité de ses parlers dialectaux) : l’ouverture aux sciences et aux techniques y a pris un certain retard, mais il est vrai de mieux en mieux comblé. La vitalité d’une langue se mesure à la facilité de son adaptation aux besoins nouveaux, notamment dans les domaines scientifiques et techniques.
11 En France, un des mérites de la « politique linguistique » est la mise en place, au niveau ministériel, de « Commissions de terminologie » chargées de la canaliser : des recommandations sont régulièrement publiées, et c’est une excellente garantie d’enrichissement maîtrisé. Au regard des propriétés inhérentes, on peut ajouter que certaines langues se prêtent plus aisément à l’apprentissage que d’autres, notamment celles qui sont dotées d’une morphologie relativement régulière et d’un code graphique cohérent et simple : si la morphologie n’est évidemment pas réformable, le code graphique en revanche, qui est de l’ordre de la convention, se prête à tous les aménagements utiles ; une réforme orthographique bien conduite peut être pour beaucoup dans la promotion d’une langue.
12 Soit dit en passant : on entend toutes sortes de lamentations sur le français qui se dégrade. Il est vrai que l’écrit pèche quelquefois, surtout chez les jeunes, et tout particulièrement sur l’Internet, où l’on bafouille sans vergogne. Mais on est en même temps frappé par une aisance à l’oral que les aînés n’avaient pas. Les médias y sont pour beaucoup ; le français que nous entendons quotidiennement à la radio ou à la télévision, généralement de fort bonne qualité, exerce une influence à la fois stabilisante et vivifiante.
Sans doute l’école ne fait-elle pas assez de place au sentiment de ce que les linguistes appellent la « connotation » : les mots renvoient aux choses ; ils renvoient aussi à ceux qui en font usage et aux situations qui en suscitent l’emploi (livre et bouquin désignent le même objet, mais ils ne relèvent pas de la même pratique langagière). L’école devrait développer plus encore la « conscience linguistique » : on n’écrit pas comme on parle, et l’on ne parle pas de la même façon dans tous les cas.
13 Un « portail » (par exemple sous l’intitulé « langue française », délié du passage obligé par le site d’une Institution), qui établirait le lien avec tous les sites utiles classés par rubriques (« Orthographe, grammaire » ; « dictionnaires et encyclopédies » ; « ressources terminologiques » ; « histoire de la langue »…) rendrait de grands services Un tel « portail » a été développé par la Délégation à la Langue Française et des langues de France (DGLFLF), mais semble avoir été abandonné.
14 Il s’y ajoute les volumes de refonte de la lettre A et les volumes consacrés aux vocables d’origine inconnue. Le FEW compte 25 volumes en tout.