Coupoles Véronique Schiltz : Défense et illustration d’un féminin nomade
Cette séance est dédiée à la mémoire de Gilbert Lazard. Son goût pour la poésie était grand. Mais il était aussi le maître des improvisations rimées. Ainsi ces billets que, durant nos séances et toujours à propos, il glissait en voisin, avec un sourire facétieux. Sur l’un d’entre eux on pouvait lire :
L’archéologue hésite
Car les siècles effacent
Et les traces des Scythes,
Et les sites des Thraces.
C’est en hommage à Gilbert Lazard que l’on va tenter de défendre et d’illustrer ce qu’a pu être le féminin nomade.
Il n’est nul besoin d’être une Amazone pour le faire depuis ce pupitre. Olympe de Gouges ne justifiait-elle pas l’accès des femmes à la parole publique en déclarant : « La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune » ? Dont acte. Il est vrai que quelques mois plus tard, elle était guillotinée.
Le nomadisme dont il va être question a totalement disparu. Même sur les espaces qui l’ont vu naître au Ier millénaire avant notre ère sur une large bande de steppes, de déserts et de montagnes qui va du Fleuve Jaune au Danube, il est désormais résiduel et ne donne qu’une image très pâlie de ce qu’a été, face à la sacro-sainte triade « L’Orient la Grèce et Rome », l’autre versant, longtemps méconnu, du monde antique.
Sur cette « mer des herbes » où dominent les graminées chères aux troupeaux, dactyle, fétuque ou paturin, où, à la saison, tulipes, iris, pivoines sauvages, se mêlent aux edelweiss et aux lys martagon s’est développée une civilisation d’éleveurs cavaliers réputée barbare, et pourtant raffinée.
Dans ce monde d’espace à l’état pur, où le vent règne en maître, au point que, selon Lucien, les Scythes juraient « Par le vent et par l’épée », seul l’aboiement des chiens signifie, faute de murailles, que l’on vient de franchir la limite du campement. L’œil y compte plus que l’oreille car, alors qu’en ville on entend ce que l’on ne voit pas, dans la steppe, quand l’oreille perçoit le danger, il est trop tard.
Là, tout ou presque diffère. Un pouvoir non pas centralisé, mais diffus, éclaté : « Ils se gouvernent entre eux », constate Strabon, ce qui déplaît aux Etats voisins, comme aux régimes totalitaires. Qu’on songe au destin tragique des tziganes qui partageaient avec les juifs le fait de n’être point enracinés.
Une religion sans temples ni clergé, qui privilégie un rapport avec la Nature et le surnaturel via la médiation de chamans ni femme ni homme, ou les deux à la fois, transgenres en somme, à la façon de ces Enarées androgynes mentionnés par les textes, qui « se mêlent aux femmes pour leurs travaux » signe patent de maladie grave aux yeux des Grecs. Bien mieux, ils pratiquent la coutume de la couvade, qui veut que, après la naissance d’un enfant, le père, traité comme une accouchée, reste alité un temps avec le nouveau-né. Variante inattendue du congé paternel, qui réapparaît dans Aucassin et Nicolette, quand Aucassin trouve le roi de Torelore « au lit et en couches » tandis que sa femme combat. Le monde à l’envers, bien sûr, mais peut-être aussi un écho lointain de la couvade centrasiatique.
Recours majeur pour aborder ces peuples sans écriture, l’archéologie et les textes, grecs pour l’essentiel, le confirment : cavalières, chasseresses et, à l’occasion, guerrières, les femmes nomades jouissaient d’un statut qui faisait d’elles l’égal des hommes. Les Grecs n’en sont pas revenus, qui se sont empressés de forger le mythe des Amazones. Et de fait, entre Volga et Don surtout, territoire des historiques Sauromates, armes et fusaïoles cohabitent dans certaines tombes, dont les occupantes portent des traces de blessures de guerre. Si bien qu’une archéologue américaine a cru voir là la confirmation de la réalité des mythiques Amazones au sein coupé, alors même que seule la découverte de squelettes complets de centaures à proximité crédibiliserait la chose.
Quant aux textes, ils soulignent à l’envi le pouvoir des femmes nomades, et parfois leur cruauté.
Hérodote nous raconte comment Tomyris la reine des Massagètes, pour venger son fils tué par Cyrus qui l’avait préalablement enivré, plongea la tête du Grand roi dans une outre de sang humain afin de l’en rassasier. Ainsi le grand Cyrus a-t-il retenu l’attention de ces dames bien avant les dix volumes de Mademoiselle de Scudéry. Dont on rappellera au passage que, auteur de la Carte de Tendre mais néanmoins opposante radicale au mariage, elle participa à la rédaction d’un Recueil des femmes illustres et fut la première femme à recevoir le prix d’éloquence de l’Académie française.
L’archéologie et les textes, donc, mais aussi les images, même si l’affaire se complique du fait que l’art scythe est avant tout animalier. C’est pourtant en historien/ne d’art et avec des images que l’on va chercher à en savoir plus.
Voici une hache d’apparat qui provient de Kelermès, dans le Kouban. On la date de l’aube de la présence scythe à l’ouest, à la fin du 7e début du 6e siècle avant notre ère. Son décor est presque exclusivement animalier. Y apparaît pourtant une scène assez maladroitement traitée, qui ne doit visiblement rien à un modèle oriental ou grec. Sous le talon apparaît en abyme un personnage qui tient lui-même une hache. Il a été unanimement interprété comme masculin. Est-ce si sûr ? Voilà une enquête à poursuivre.
Adoptée par les Amazones, la hache fait partie des regalia, des symboles scythes du pouvoir, tout comme l’arc, l’arme de la distance, qui a rendu les nomades invincibles jusqu’à l’apparition des armes à feu. Cet arc à double courbure typique des steppes, en forme de W ou de Σ, a été considéré par les sédentaires comme l’arme des lâches, au point que le deuxième concile de Latran jette sur lui l’anathème et en interdit l’usage pour les guerres entre chrétiens, en même temps qu’il interdit d’ailleurs l’usure, les tournois et… le mariage des prêtres et des religieux.
À ce propos, il est piquant de constater que, depuis Lysippe et dans tout l’art occidental, l’arc des steppes, l’arc en W, est l’attribut d’Eros, de Cupidon, de l’Amour autrement dit. L’amour serait-il toxique, au sens étymologique du terme ? Et pratiquerait-il le tir à l’arc façon zen, les yeux fermés ?
Passons au fragment d’une tenture en feutre qui provient de Pazyryk, dans l’Altaï, et que l’on date du 3e siècle avant notre ère.
Une femme siège sur un grand fauteuil à pieds tournés, meuble fort peu nomade. Elle brandit un rameau foisonnant, peut-être un Arbre de Vie. Sa posture est celle du Roi des rois achéménide tel qu’il trône, fleur de lotus à la main, à Persépolis. C’est, incontestablement, une divinité. Face à elle un cavalier, arc au côté, s’avance. On a là une scène d’adoubement, comme on en trouve, inscrites dans l’or, à l’ouest de la steppe.
C’est donc auprès d’une femme que chefs nomades et rois scythes vont chercher la légitimation de leur pouvoir. Le pouvoir serait-il de nature féminine ? Au fait, ne nous adressons-nous pas aux puissants au féminin : Son Altesse, Sa Majesté, Sa Sainteté, Son Eminence, Excellence. Pourtant une divinité féminine ne garantit pas, tant s’en faut, la prise en compte du féminin.
Qu’on songe à Athéna, qui surgit tout armée du crâne de Zeus, en une sorte d’immaculée conception, avant de devenir la mère présumée du premier roi d’Athènes, ceci sans l’avoir conçu ni enfanté, par le seul effet du désir inabouti d’Héphaïstos venu maculer sa robe et qu’elle rejette au sol avec dégoût, déléguant à Gaïa, la Terre, le rôle de mère porteuse. Difficile de mieux faire l’économie du féminin. Ceci au nom d’une naissance, il est vrai, royale. Qu’en pense le maître de ces lieux, celui dont le tombeau est là, derrière nous, le cardinal Mazarin ? Homme de Dieu, certes, mais esprit pratique, dont on a pu penser un temps qu’il avait favorisé autrement que par des prières la naissance de Louis XIV.
Mais revenons-en aux mortels.
Cette agrafe de vêtement a été envoyée de Sibérie à Pétersbourg au tsar Pierre le Grand par le prince Gagarine.
Sous un arbre au feuillage en gouttes, un homme est étendu, la tête dans le giron d’une femme vers laquelle il allonge le bras en un geste de tranquille possession. Elle, à son tour, semble lui caresser la tête. Sa main sort d’entre les pans de son vêtement, une houppelande portée comme une cape, dont les manches non enfilées, à la mode perse du candys, sont plates et vides. On l’imagine portant par ailleurs, comme ses sœurs de l’Altaï conservées par les glaces, une large jupe à pans tricolores sur de hauts bas de feutre, façon chausses ou houseaux, peut-être une chemise en précieuse soie chinoise, et sur le corps des tatouages.
Un peu plus loin, un écuyer, assis en tailleur, tient par la bride deux chevaux. Ils attendent sagement et font mentir le célèbre proverbe réputé mongol et infiniment plus sage qu’il n’y paraît : « Si tu as perdu ton cheval, regarde sous la selle ».
Que cette scène suggère une union charnelle est manifeste. D’autant qu’un carquois est accroché à l’arbre. Or Hérodote nous apprend que chez les nomades « Quand un Massagète a envie d’une femme, il accroche son carquois devant son chariot et s’unit à elle en toute tranquillité ». La scène prend-elle place avant ou après que la dame ou le monsieur, qui sait ? a vu la feuille à l’envers ? Plutôt après, apparemment.
Saisissons l’occasion pour évoquer un sujet qui nous échappe largement : quelle pouvait être la vie intime des nomades ? Hérodote mentionne un partage des femmes censé faire du clan une grande famille, avec une formule qui laisse songeur : « Chacun épouse une femme, mais ils en font un usage commun ».
Si l’on en croit Hippocrate, les femmes étaient grasses, « prodigieusement flasques et peu fécondes », lourdes lentes donc, et les hommes, rendus impuissants par l’abus de l’équitation et le port du pantalon, « très peu portés aux plaisirs de l’amour ». Mais faut-il croire Hippocrate ? Peut-être simplement, le sexe n’était-il pas, pour des nomades au quotidien très absorbant, la préoccupation majeure.
Plus aimable est le témoignage d’Hérodote. Après avoir décrit la pratique scythe d’un joyeux sauna collectif relevé par des fumigations de chanvre, il nous livre la recette de beauté de ces dames :
« Quant à leurs femmes, elles broient sur une pierre raboteuse du bois de cyprès, de cèdre, et de l’arbre qui porte l’encens ; et, lorsque le tout est bien broyé, elles y mêlent un peu d’eau, et en font une pâte dont elles se frottent tout le corps et le visage. Cette pâte leur donne une odeur agréable ; et le lendemain, quand elles l’ont enlevée, elles sont propres, et leur beauté en a plus d’éclat. »
Pour revenir à l’image, il est une chose qui, ici, n’apparaît pas immédiatement, c’est la signification du geste de la femme. Car en réalité sa main fait plus que caresser les cheveux du dormeur. Elle l’épouille, et, « avec de frêles doigts aux ongles argentins », elle lui « fouille la tête » selon l’expression consacrée Une litote apparemment, tant verbale qu’iconographique. Quelle meilleure preuve d’amour, en vérité, que d’épouiller l’homme aimé ? On ne saurait qu’en prendre de la graine.
La sérénité qui émane de la scène est plus frappante encore si l’on regarde l’ensemble du double bijou.
Les lignes parlent d’elles-mêmes. Au centre les masses arrondies, ajourées, apaisantes, des arbres aux branches qui cascadent, puis la courbure doucement ondulée des échines, qui plongent avec la croupe basse, et les queues sagement tressées tombant à la verticale… Tout respire la douceur, l’équilibre, la paix.
On a affaire ici, au cœur de l’Asie nomade, à un motif, la halte sous l’arbre, qui traverse les épopées d’Asie centrale aussi bien que les ballades hongroises, scandinaves ou germaniques, ainsi que les cycles bretons et français. Car nombre de chansons de geste de notre Moyen Age reposent sur un fond hérité de l’époque des Invasions. Or ce que nous désignons par le terme peu aimable d’« invasions barbares » nous a transmis, outre des perfectionnements techniques liés au cheval monté, l’écho d’une riche tradition orale venue du centre de l’Eurasie.
Ainsi notre chevalerie doit-elle beaucoup à la cavalerie des steppes et le chevalier au cavalier. Or ce bijou provient de Sibérie, au cœur du monde nomade, et non pas sur sa frange occidentale, qu’illustre un art gréco-scythe parfois hellénisé à l’excès. Ici nous avons affaire à un rapt. Mais apparemment, personne ne s’en plaint. Le mariage par rapt, réel ou simulé, est d’ailleurs la règle dans nombre de sociétés et la tradition unanime veut que seules les femmes enlevées fassent les épouses honnêtes.
Et donc, une femme pudique et attentionnée, un homme qui s’abandonne à elle…
Tableau irénique auquel on en opposera un autre, moderne celui-ci, et, depuis quelques mois, redoutablement actuel.
L’art est souvent prémonitoire. Pour preuve la toile que voici. Elle date de 1883 et a pour auteur le grand Arnold Böcklin qu’on aurait bien tort de réduire à sa célébrissime Ile des morts.
Sur un océan démonté, à l’image de notre monde agité et sans repères, un barbu dionysiaque, un genre de Triton faunesque à l’air passablement lubrique attire à lui une jeune femme, une sirène apparemment, plus ahurie que consentante, et prête à rejoindre, mais plus tard, les « Me Too ».
Non loin, inconscientes du danger, à moins qu’elles ne provoquent, deux de ses compagnes exposent, comme autant de morceaux choisis, les parties de leur individu les plus susceptibles d’induire à la concupiscence une gent masculine qui, d’ailleurs, se précipite du haut de la vague sous la forme d’un centaure marin bedonnant. À la façon du Nessos de Hérédia, il semble dire : « Le désir me harcèle et hérisse mes crins ».
Cette toile de Böcklin est comme l’illustration d’un rapport masculin-féminin houleux, agressif, une image de la situation actuelle telle qu’elle est vécue dans le monde occidental depuis de récentes affaires.
Et ce que nous avons ici est loin de refléter l’esprit de notre devise nationale, même si l’on en croit la vertu des anagrammes. Car les lettres, les belles lettres, ne mentent pas, surtout si on les secoue un peu. Or, convenablement chahutée, ou fixée dans le désordre de ses lettres au fronton de nos mairies par un artisan distrait, notre devise républicaine, Liberté, Egalité, Fraternité, devient Flirt, Ebriété, et Galanterie.
L’exacerbation actuelle des rapports masculin/féminin serait-elle un phénomène nouveau ? « Celui qui épouse son époque sera vite veuf » a dit le poète. Et de fait, le témoignage de l’art le confirme. Car enfin, si l’on bannissait de nos musées tous les tableaux inspirés de crimes passionnels, de viols, de scènes de harcèlement, de regards libidineux, ils seraient bien vides. Plus de Lucrèce défendant sa vertu au prix de sa vie, plus de vieillards matant la belle Suzanne, ou d’Actéon surprenant Diane au bain, ni de Mars et Vénus surpris par Vulcain, pas plus que de Verrou impérieusement tiré, sans parler des hasards heureux de l’escarpolette… Au reste, tous les dieux de notre Antiquité bien-aimée ne sont-ils pas de fieffés harceleurs ? Mais revenons aux nomades avec deux images qui viennent de ce monde pourtant réputé barbare.
Ce bijou provient de la nécropole de Tillia tepe, dans la partie aujourd’hui afghane de l’antique Bactriane. Il date du début de notre ère. On y voit un couple monté sur un monstre hérissé et puissamment griffu, très steppique d’allure. L’homme se retourne, attentif, vers sa compagne, assise en amazone. Elle tend le bras vers lui. Une Victoire ailée couronne la scène.
Pour un œil grec on a affaire à Dionysos, avec sa nébride ocellée et une couronne de lierre. Il verse du vin à Silène vautré à ses pieds qui brandit un rhyton, une corne à boire très scythe. Et la femme ne peut être qu’Ariane. Mais la lecture d’une image est dans l’œil de celui qui la regarde.
Sans doute le « seigneur de guerre » enterré là s’identifiait-il à Dionysos, un chef de guerre, lui aussi. N’avait-il pas conquis la Bactriane avec Pan pour général en chef ? En outre, une union dynastique avec une princesse à coup sûr de haut rang, et bénie par une Victoire, ne pouvait qu’accompagner sa marche vers le pouvoir suprême et lui assurer la première place, en ces temps d’une compétition acharnée entre clans nomades qui aboutit à la naissance de l’empire kouchan.
Mais pour la jeune femme d’une vingtaine d’années qui portait ce bijou, à coup sûr son épouse principale, il y a fort à parier qu’elle lisait là l’image de leur couple, uni pour chevaucher sans crainte le dragon de la vie et lui assurer un statut doublement royal.
L’image, en tout cas, respire une affection de bon aloi et une tendresse qu’on ne trouve guère dans les arts du monde sédentaire contemporain.
Et pour finir, contemplons cet objet, d’autant plus convaincant qu’il est modeste et nous permet d’échapper à la malédiction de l’ « Or des Scythes ». C’est une boucle de ceinture en bronze. Elle provient de l’Iran parthe et date, elle aussi, du début de notre ère. On y voit un homme et une femme, visages de profil, si proches qu’ils se touchent presque. Lui semble fixer intensément sa compagne et pose une main impérieuse sur son buste. Elle, plus frêle, a des traits fins et les cheveux ramenés en arrière en un lourd chignon. Avec un geste gracieux de pudeur consentante, elle semble, de sa main posée sur l’avant-bras de l’homme, retenir son geste tout en l’accueillant. Les bras entrecroisés exaltent les visages tout en suggérant l’union des corps.
On a là le témoignage d’une affection conjugale dont la figuration est étrangère tant à l’art perse qu’à l’art grec, deux arts qui pourtant, nourrissent l’art parthe. Mais les Parthes sont d’ascendance nomade. Et ce type d’image, loin d’être unique, se retrouve sur d’autres boucles du même type, comme au reste, sur des palettes du Gandhara.
Que retenir de tout cela, dans notre monde de plus en plus mobile ?
Indéniablement, dans la société nomade antique la répartition des tâches était autre, infiniment moins « genrée » que chez les sédentaires. Pourtant, les images que nous avons vues et qui, avouons-le, ne sont pas si nombreuses, n’idéalisent-elles pas le tableau ? Peut-être…
Il n’en reste pas moins que défendre et illustrer, même à l’excès, le féminin nomade, ou plus simplement s’efforcer de le concevoir, nous amène à sortir d’un statut de sédentaire qui nous emprisonne, car il nous semble être le seul possible. Or, les scientifiques le savent bien, seul un regard extérieur à un système clos permet d’appréhender objectivement celui-ci.
Bien mieux, nous sommes du coup invités à discerner, en chaque choses, deux facettes, l’une sédentaire, l’autre nomade. Ainsi l’intelligence, enracinée dans la raison, serait sédentaire, mais l’esprit, qui vagabonde, nomade ; la politesse, assujettie à des règles fixes, serait sédentaire, la courtoisie, plus flexible et qui sait s’adapter, nomade ; l’envie serait sédentaire, le désir nomade ; l’ironie sédentaire, l’humour nomade, et ainsi de suite. La femme serait-elle la face nomade de l’homme ?
Que toute forme de discrimination, d’injustice, de violence à l’encontre de personnes de l’autre sexe aussi bien, d’ailleurs, qu’activement du même ! soit à dénoncer vigoureusement et à combattre inlassablement ne saurait faire le moindre doute. Encore faut-il ne pas confondre justice et égalité, équité et parité. Les langues meurent, les insectes et les abeilles disparaissent, les oiseaux se font de plus en plus rares. Prenons garde, femmes, hommes, tous ensemble, à sauvegarder le masculin. Ne faisons pas de notre pays une nouvelle Lemnos. Toute différence est, par définition, source d’inégalité. Mais nos dissemblances n’ont pas, tant s’en faut, que des inconvénients. Sédentaire ou nomade ? Masculin ou féminin ? Que vivent l’altérité, la complémentarité, et les joies qu’elles procurent.