Société asiatique Gobal GOBALAKICHENANE
Communications :
M. Gobal GOBALAKICHENANE
a présenté les communications suivantes lors des séances du vendredi :
Séance du 6 novembre 2015
« Les chroniques tamoules de quatre pondichériens du XVIIIe siècle »
Les recherches sur l’histoire des Comptoirs français et de l’Inde du Sud au XVIIIᵉ siècle sont presque toutes basées sur des sources française et anglaise et rarement sur une source tamoule. Par ailleurs, la thèse de Jacques Weber porte sur le XIXᵉ siècle alors que les mémoires et thèses de ses élèves à Nantes couvrent les périodes plus récentes. La période d’après Dupleix du XVIIIᵉ siècle, version française, reste encore à approfondir.
Ces remarques soulignent l’importance du Journal tamoul d’Anandarangapillai (ARP), célèbre ‘dubash’ et courtier de Dupleix, et d’autres journaux similaires. La collection E. Ariel du Département des Manuscrits orientaux de la Bibliothèque Nationale François Mitterrand comporte de nombreux manuscrits tamouls non encore correctement exploités. Vers le milieu des années 1980, nous avons réussi à exhumer un Journal inédit attribué à Vîrânaicker (VNR) et couvrant l’importante période 1778-1792 (quatrième siège de Pondichéry, vaillamment défendu par Bellecombe, occupation anglaise, dernières années de l’Ancien Régime et Révolution française dans les Comptoirs).
Les recherches sur la personnalité de cet auteur et les conditions dans lesquelles il a pu rédiger son Journal nous ont conduits à relire attentivement les manuscrits (Mss Indien 143 à 158) des Journaux d’Anandarangapillai pour la période 1736-1761 et de ‘Tirouvengadapillai’ (TVP) pour les années 1761 à 1799, ainsi désignés par Julien Vinson (son catalogue est resté à l’état d’épreuve, au XIXᵉ siècle). La traduction anglaise en 12 volumes du Journal d’ARP, publiée entre 1904 et 1928 successivement par F.Price et H.Dodwell, était considérée comme une édition complète. Mais la comparaison avec ces manuscrits tamouls a montré qu’elle comportait des lacunes : plus d’un tiers environ restait encore inédit. Nos études ont permis également de fixer 1760 comme la dernière année due à ARP, la suite relevant de son neveu dit Appâvou alias Tirouvengadapillai.
Le Journal de VNR révélant, entre autres, la mort de TVP en février 1791, nous avons pu établir également que le Journal dit ‘de Tirouvengadapillai’ était dû en fait à deux auteurs, père et fils, que nous avons identifiés comme Tirouvengadapillai III et Tirouvengadapillai IV.
L’ensemble de ces journaux va de 1736 à 1799 et peut-être considéré comme le témoignage et l’appréciation de quatre Pondichériens francophones sur les événements du XVIIIᵉ siècle, à mettre en regard des sources françaises bien connues. En ce qui concerne la langue tamoule dont la littérature, datant de plus de 2000 ans, ne comportait que des chefs-d’œuvre poétiques, ces journaux constituent les premières proses connues en cette langue. En outre, le Journal de Vîrânaicker II, par sa composition et son style, marque aussi la naissance de l’historiographie tamoule.
Séance du 4 mai 2018
« Le retour à Pondichéry des ambassadeurs envoyés par Tipû Sultân en France, raconté par le chroniqueur tamoul Vîrânaicker II ».
La France ’perd le Canada et l’Inde’, à la fin de la Guerre de Sept ans, selon le Traité de Paris de 1763, et croit avoir pris sa revanche vingt ans plus tard, avec le Traité de Versailles de 1783 consacrant l’indépendance des Etats d’Amérique arrachée aux Anglais avec son aide massive. Cependant, du côté de l’Océan Indien, elle ne connaît que des déboires dans la deuxième moitié du XVIIIᵉ s., malgré l’alliance fidèle de Haïder Aly (1722-1782) et de son fils Tipû Sultân (1750-1799).
Lors de la Guerre de Sept ans et de la Guerre d’Indépendance des Etats d’Amérique, les amiraux d’Aché en 1758 et 1759, de Tronjoly en 1778 qui reviennent vite à l’Île-de-France -Maurice-, abandonnant respectivement les armées de terre de Lally et de Bellecombe, ne laissent de bons souvenirs ni aux princes locaux du Sud de l’Inde ni à la population de Pondichéry, alors chef-lieu de tous les Etablissements français au-delà du Cap de Bonne-Espérance.
Seuls les exploits de Suffren au large de Trincomalé (Ceylan) et de la côte de Coromandel en 1782 et 1783 (’Amiral Satan’ comme le surnommeront plus tard les Anglais) donnent quelque espoir à Tipû Sultân. Ce dernier, malgré les conséquences locales du Traité de Versailles, le retour de Suffren en France en 1784, le transfert du chef-lieu de Pondichéry à Port-Louis (Île-de-France) en 1785 et le remplacement rapide des gouverneurs successifs (Coutenceau -Souillac de passage-, Charpentier de Cossigny, Conway, de Fresne, Chermont), continue à espérer obtenir le secours de la marine française. Tout en sollicitant également l’aide de la Turquie et de l’Afghanistan, il envoie à cet effet, à la Cour de Versailles, trois ambassadeurs dont l’arrivée suscite une grande curiosité et fait grande sensation, par leur apparat, leur conduite et leurs présents.
Le chroniqueur tamoul Vîrânaicker II note dans son Journal (1779-1792) l’arrivée de Seringapattanam, capitale de Tipû Sultân, de ces trois ambassadeurs à Pondichéry, en janvier 1787 avec beaucoup de cadeaux pour le Roi Louis XVI, leur séjour jusqu’à leur embarquement pour la France en juillet 1787 et leur retour à Pondichéry en mai 1789. Ils sont accueillis de façon un peu rude par le gouverneur de Conway et repartent à Seringapattanam, avec une partie des cadeaux du Roi Louis XVI à Tipû Sultân, mais sans résultat d’aide de la marine française attendue impatiemment par le prince.
De nombreuses sources françaises relatent la visite des ambassadeurs en France et l’audience accordée par Louis XVI. Mais, nous n’avons pas trouvé à ce jour des traces de leur retour à Pondichéry, d’où l’intérêt de ce Journal tamoul évoquant cet événement, ainsi que d’autres tout aussi importants, relatifs au Sud de l’Inde
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