Séances Vendredi 29 septembre 2023

 

– Communication de Mme Marie-Odile Boulnois, directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études, Ve section, sous le patronage de Mme Monique TRÉDÉ et M. Philippe HOFFMANN : « Appropriations croisées des autorités de l’adversaire : l’empereur Julien et Cyrille d’Alexandrie. »

 

Résumé

La communication étudie le procédé polémique, utilisé à la fois par l’empereur Julien et son réfutateur Cyrille d’Alexandrie, qui consiste à s’approprier le corpus des autorités de l’adversaire : chacun cherche à démontrer que son interlocuteur n’est pas fidèle aux écrits de sa tradition et que ceux-ci témoignent au contraire en faveur de sa propre doctrine ; l’adversaire se trouve ainsi accusé d’innover et convaincu d’erreur parce qu’il s’écarte d’un accord unanime, dans le domaine des pratiques rituelles ou sur des points de doctrine. Il s’agit donc d’explorer les procédures herméneutiques qui permettent ces harmonisations doctrinales et les enjeux de ces appropriations croisées. En assimilant la Bible à l’hellénisme, Julien prétend l’interpréter mieux que les chrétiens et leur refuse le droit d’en revendiquer l’héritage : Moïse reconnaît l’existence de plusieurs dieux et non pas d’un Fils unique ; l’acceptation du sacrifice d’Abel prouve que Dieu préfère les sacrifices sanglants ; Abraham pratiquait les sacrifices et la divination. L’objectif de Julien est aussi d’utiliser ces accords entre Grecs et juifs pour promouvoir sa restauration de l’hellénisme. En réponse, Cyrille d’Alexandrie ne se contente pas de réfuter les exégèses de l’empereur Julien, mais souligne les accords entre la philosophie de tradition platonicienne et le christianisme, soit pour justifier le rejet des sacrifices d’animaux par les chrétiens, soit pour prouver que la Trinité n’est pas une innovation chrétienne. Parmi les auteurs invoqués, Porphyre occupe une place de choix (à côté de Platon, Plutarque, Numénius ou Plotin), et la citation de certains extraits de son Histoire philosophique est d’autant plus précieuse que ceux-ci ne sont pas connus par ailleurs. Ce concordisme à visée polémique est néanmoins tempéré par une préoccupation dogmatique, Cyrille ayant le souci de dénoncer dans ces textes philosophiques certaines erreurs, comme la subordination des hypostases, qu’il assimile à celles de l’hérésie arienne.

 

Mots clés : Empereur Julien ; Cyrille d’Alexandrie ; Controverse pagano-chrétienne Porphyre ; Sacrifices.

 

Abstract

The paper examines a polemical device, used by both the emperor Julian and his refuter Cyril of Alexandria, which consists in appropriating the corpus of authorities of the opponent. Each seeks to demonstrate that the other is not faithful to the writings of his tradition, and that these testify on the contrary in favor of his own doctrine. The adversary is thus accused of innovation and convinced of error because he deviates from a unanimous agreement, in the field of ritual practices or on points of doctrine. The aim is to explore the hermeneutical procedures that enable these doctrinal harmonizations, and the stakes involved in these cross-appropriations. By assimilating the Bible to Hellenism, Julian claims to interpret it better than Christians, and denies them the right to claim its heritage: Moses recognizes the existence of several gods, not a single Son; the acceptance of Abel’s sacrifice proves that God prefers bloody sacrifices; Abraham practiced sacrifice and divination. Julian’s aim was also to use these agreements between Greeks and Jews to promote his restoration of Hellenism. In response, Cyril of Alexandria not only refutes Julian’s exegesis, but also highlights the agreements between Platonic philosophy and Christianity, either to justify Christian rejection of animal sacrifice, or to prove that the Trinity is not a Christian innovation. Among the authors cited, Porphyry holds a prominent place (alongside Plato, Plutarch, Numenius and Plotinus), and the quotation of certain extracts from his Philosophical History is all the more valuable as they are not known elsewhere. This polemical concordism is nevertheless tempered by a dogmatic concern, as Cyril is keen to denounce certain errors in these philosophical texts, such as the subordination of hypostases, which he assimilates to those of the Arian heresy.