Séances Vendredi 4 avril 2025

– Communication de Mme Isabelle Ratié, professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle, sous le patronage de M. Jean-Noël ROBERT : « Comment triompher d’une femme dans un débat : de la philosophie et des femmes dans La Conquête universelle de Śaṅkara (Śaṅkaradigvijaya) ».

 

Résumé

Dans quelle mesure les femmes ont-elles pu prendre part aux débats philosophiques de l’Inde ancienne et médiévale ? Dans l’immense corpus des textes philosophiques produits sur le sous-continent, on ne connaît aucune œuvre attribuée à un auteur féminin, et si une élite féminine a pu avoir accès à plusieurs domaines du discours savant de langue sanskrite (notamment la poésie), tout indique que la logique, l’épistémologie et la métaphysique sont demeurées l’apanage des hommes. Depuis le siècle dernier néanmoins, certains historiens, s’appuyant sur de très rares mentions, dans la littérature sanskrite, de femmes réputées avoir participé à des joutes philosophiques, ont affirmé que la philosophie aurait été largement ouverte aux femmes au cours d’un âge d’or méconnu aux contours chronologiques mouvants. Nous examinerons ici l’un de ces textes, La Conquête universelle de Śaṅkara (Śaṅkaradigvijaya), une hagiographie du grand philosophe et théologien Śaṅkara (VIIIe s.). L’illustre représentant de la tradition du Vedānta y est dépeint se livrant avec l’épouse d’un autre grand penseur brahmanique à un terrible duel dialectique – et contraint, pour pouvoir triompher de son habile interlocutrice, de s’initier à la science érotique (kāmaśāstra) sans pour autant perdre son statut de « renonçant » au monde des sens. Nous nous efforcerons de montrer que le texte, très tardif et empreint de merveilleux, n’offre certes pas un témoignage historique fiable concernant les événements qu’il prétend rapporter des siècles (peut-être près d’un millénaire) après la mort de Śaṅkara, mais qu’il n’en constitue pas moins une riche source d’information quant à la manière dont les milieux brahmaniques ont pensé la philosophie, le renoncement au monde et la condition féminine à l’aube de l’ère coloniale.

Mots-clés : philosophie indienne ; hagiographies ; sanskrit ; femmes ; Śaṅkara