par M. Philippe CONTAMINE, membre de l’Académie.

Depuis la fin de l’Empire romain et la mise en place des royaumes barbares, la royauté fut vaille que vaille la formule politique de référence à travers l’Occident féodal, non seulement dans les faits mais aussi dans un imaginaire de plus en plus imprégné de culture biblique : le sacre de David la sagesse de Salomon, la figure du roi dans les Évangiles. Plaçons-nous au point d’aboutissement de la trajectoire médiévale, en 1400, c’est-à-dire, pour ce qui est du royaume de France, au milieu du règne de Charles VI, à la fois calamiteux et fondateur, l’année où Étienne de Conty, official de l’abbaye de Corbie, écrivit sa continuation de la chronique universelle des papes et des empereurs dite chronique martinienne. Au début de cette continuation, notre moine, en un latin qui, il faut le reconnaître, n’a rien d’humaniste, passe en revue l’un après l’autre les royaumes de la chrétienté latine, au nombre de dix-sept (on songe bien sûr à l’Europe des 17 mais la liste n’est pas la même : ce serait trop beau). Selon notre religieux, indépendamment de leur étendue, de leur richesse, du nombre de leurs habitants, ces royaumes peuvent ou plutôt doivent se répartir selon leur degré de souveraineté (de quelle autorité supérieure sont-ils tenus ?) et selon que leurs rois sont ou bien uniquement couronnés ou bien à la fois sacrés et couronnés. Or, il n’existe que cinq rois oints et couronnés : ceux d’Angleterre, de Sicile, d’Écosse, de Jérusalem et de France. De plus, les quatre premiers royaumes dépendent en principe de l’Église romaine (autrement dit du pape), ce qui implique par exemple pour les royaumes d’Angleterre et de Sicile le versement d’un tribut annuel. Reste le roi de France, qui doit être nommé le premier « parce qu’il est oint à Reims par l’archevêque de Reims d’une onction divine envoyée par l’ange à saint Remi, alors archevêque de Reims, lors du baptême du premier roi chrétien », Clovis, et après lui lors du sacre de ses successeurs. Telle est la sainte ampoule. Le texte continue : « Item, puisqu’il a des armes ordonnées par Dieu et non par un homme [les fleurs de lis d’or sur champ d’azur] du temps de saint Denis martyr, rien d’étonnant à ce que le roi de France tienne son royaume de Dieu seul et qu’il soit appelé le roi très chrétien alors que les autres rois chrétiens tiennent leur royaume de l’Église romaine ».

L’émergence et l’enrichissement de la notion, courante chez les historiens au moins depuis Marc Bloch et ses Rois thaumaturges, de « religion royale » ou de « royauté sacrée», en l’occurrence française, se firent progressivement : d’Hincmar de Reims à Robert le Pieux, de Robert le Pieux à Louis VII et à l’abbé Suger suivi de saint Louis, le roi de la croisade, et de Philippe le Bel. Et nous arrivons à Charles V et à la pléiade de doctes personnages qu’il voulut s’attacher, son think tank, comme on dit en franglais, son club comme l’appelle Françoise Autrand, Jean Golein, Raoul de Presles, Évrart de Trémaugon, Nicole Oresme, et Philippe de Mézières, le plus grand de tous.

En un siècle, entre 1360 et 1460, alors que précisément la royauté des Valois était souvent malmenée, de l’intérieur comme de l’extérieur, fut à la fois défini et diffusé le contenu du « patrimoine spirituel » dont les rois de France étaient statutairement les détenteurs, avec tout ce que cela impliquait en termes de droits et de devoirs, d’action de grâce et de rayonnement.

Récemment édité, un court texte en français, rédigé ou copié au milieu du XVe siècle, énumère d’abord les « choses qui appartiennent a l’office et decence de la dignité royal ». Le propos n’a rien d’original : « faire observer et garder en son royaume paix et justice », « garder et nourrir tranquillité et dilection entre les gens de l’Église, les nobles et le peuple », punir selon la gravité de leurs crimes les rebelles, les séditieux, les perturbateurs de l’ordre public, proscrire toute vénalité dans la justice, et, comme il est dit dans le quatrième livre des Sentences de saint Thomas d’Aquin, attribuer les offices à des personnes compétentes. Le même texte passe ensuite aux prééminences, prérogatives « celestes » et « honneurs » appartenant à la « saincte couronne » et aux « roys tres cretiens de France », lesquels, est-il dit, sont « decorez de ferme foy, de grant sapience et de chevallerie tres noble ». D’où une démonstration où il est affirmé que, quand on parle à travers la chrétienté du roi tout court, inutile de préciser, c’est du roi de France qu’il s’agit, et où il est rappelé que, si protocolairement, lors d’une hypothétique rencontre à trois entre le pape, le roi de France et l’empereur, ce dernier, en tant qu’avocat de l’Église, a la priorité, juste après vient le roi de France, en tant que son protecteur et son bras droit. Les rois de France n’ont-ils pas ôté et extirpé pas moins de vingt-trois schismes, « ce que aucuns empereurs, roys, princes ne nations n’ont fait » ?

Dans les années 1450, à la demande du futur Louis XI, alors dauphin de Viennois, le juriste Mathieu Thomassin entreprit de savantes recherches, notamment dans les archives de la Chambre des comptes de Grenoble, en vue de définir le statut du Dauphiné, terre d’Empire, et les droits du dauphin. Tel fut le Registre delphinal, qui donne l’occasion à Thomassin de mentionner les composantes du patrimoine spirituel des rois de France : et nous retrouvons l’écu aux trois fleurs de lys, la sainte ampoule, la guérison des écrouelles, mais aussi, abritées en leur sainte chapelle de Paris, les « tres sainctes reliques » que Dieu leur a confiées, celles de la Vraie croix, des clous de la Crucifixion et de la couronne d’épines Le fait que les rois de France soient sacrés avec l’huile de la sainte ampoule signifie, dit Mathieu Thomassin, « royale puissance comme sacerdotale et pontificale dignité ». Il faut aussi considérer la sainteté de la lignée de France : les faits miraculeux du roi Clovis, saint Charlemagne, saint Louis de France et saint Louis de Marseille, saint Charles de Blois.
« Considerons aussi les miracles et grans vertuz que Dieu a octroyé a Charles le Ve et Charles le septiesme qui est a present [et pour Thomassin parmi les miracles dont a bénéficié ce dernier figure sans conteste Jeanne d’Arc], et l’on trouvera et peult l’on conclurre que le royaume de France est estably de Dieu sans force, sans tirannie ny violence quelconque » (ces derniers mots sont empruntés directement au Songe du Verger d’Évrart de Trémaugon).
Et c’est pourquoi le nom de Charles, en latin Carolus, porté par ces deux rois, est interprété comme signifiant clara lux, claire lumière. Le royaume de France a un protecteur céleste attitré, « le glorieux archange sainct Michel ». Depuis Clovis, c’est-à-dire depuis qu’elle s’est introduite dans le royaume de France, ses rois ont été les principaux protecteurs de la foi chrétienne d’où la célèbre parole de saint Jérôme, « Sola Gallia caruit monstra », « seule la Gaule n’a pas connu de monstre », comprenons d’hérésie. Une parole, souvenons-nous, mentionnée lors du procès de condamnation de Jeanne d’Arc. Tout cela explique que le pape Étienne II, lors du sacre de Pépin le Bref, décida d’excommunier et de maudire « tous estrangers » qui voudraient nuire au royaume de France ou bien l’envahir.

Dans le même registre, sept ans après la réhabilitation de Jeanne d’Arc, le franciscain Pierre des Gros écrit comme en passant dans le Jardin des nobles (1463) : « Aux rois de France signes merveilleux et miracles a Dieu monstré, comme en la Sainte ampoule et l’oriflamme et fleurs de lys et en la Pucelle ».Non seulement une certaine culture cléricale et royale, à tonalité gallicane, permit d’entourer la couronne de France d’une sorte d’auréole mais encore, au-delà du milieu étroit des lettrés, bien des régnicoles et même des étrangers la perçurent jusqu’à en être éblouis. Intervint un processus dialectique qui aboutit à ce que le patrimoine spirituel en question, comme s’il répondait à une attente populaire, bénéficia sans peine d’une large adhésion.

Mais alors comment se fit-il connaître ? Songeons aux pèlerins qui venaient visiter en foule l’abbaye de Saint-Denis, nécropole des rois : là, des guides avaient pour mission de leur expliquer, par les mots et par les images, le légendaire de la monarchie française. Songeons à différentes cérémonies, comme la remise de l’oriflamme, une véritable liturgie, les funérailles royales, qui finirent par mobiliser, entre Paris et Saint-Denis, beaucoup d’acteurs et surtout de spectateurs, le sacre de Reims dont l’un des temps forts était le couronnement du roi, entouré ou plutôt soutenu par les douze pairs de France, le toucher des écrouelles, en France et hors de France (ainsi à Naples au temps de Charles VIII), les entrées royales au cours desquelles des harangues, des tableaux, des spectacles vivants, des chants, des poèmes visaient à exalter la figure du roi très chrétien et aussi à le rappeler à ses devoirs (je me borne à suivre ici Bernard Guenée dans son maître livre de 1968. On pourrait ajouter les lits de justice, tel celui qui condamna Jean d’Alençon, à Vendôme en 1458, dont proviendrait peut-être une tapisserie récemment acquise par le Louvre.

Fascinés par cet ensemble de manifestations, des médiévistes francophones, anglophones, germanophones, ont depuis plusieurs décennies d’autant plus volontiers insisté sur cette dimension de l’idée monarchique qu’elle semble trancher avec l’exercice moderne de la politique. C’est bien connu : les médiévaux étaient de grands enfants cruels et crédules, il leur fallait des symboles, des mythes et des rites plutôt que de la réflexion abstraite. Les images leur tenaient lieu d’idées. Le résultat étant que la royauté française, en dépit de la modestie de ses moyens d’action, de ses maladresses, de ses défaillances militaires, de la médiocrité de beaucoup de ceux dans lesquels elle s’incarnait, tint debout et finalement l’emporta lors de la grande crise qu’on appelle la guerre de Cent ans. Dans son royaume comme dans la chrétienté, l’image du roi de France était incomparable et cette image était la meilleure arme à sa disposition.

Mais sans doute n’est-ce là qu’un aspect des choses, le plus accessible car le plus exotique, le plus séduisant pour les anthropologues du pouvoir. Parallèlement, d’autres recherches, menées là encore à l’échelle internationale, sont venues montrer qu’il exista en France durant les derniers siècles médiévaux des pratiques politiques nullement étrangères aux pratiques politiques actuelles (ainsi la propagande auprès de ce qu’il est déjà permis d’appeler, à la suite de Bernard Guenée, une opinion publique), et aussi une pensée spéculative à ce point développée que l’on peut sans exagération parler à son propos de science ou de philosophie politique.

Cette science politique médiévale a une longue histoire. On en a perçu les prémisses dans certains traités carolingiens, on l’a débusquée dans des commentaires bibliques du XIIe siècle, et surtout on a montré comment elle émergea avec l’introduction en Occident de la pensée politique de l’Antiquité, au premier chef celle d’Aristote, d’abord en latin, grâce à la traduction de Guillaume de Moerbeke, puis en français, une démarche cens lui permettre de devenir une source directe d’inspiration pour des gouvernants qui n’étaient pas vraiment des literati. Et c’est là toute l’importance, en France, du temps de Charles V, de ce Charles le Sage entouré de livres dans sa fameuse « librairie » du Louvre.

Comment ne pas citer la figure du Normand Nicole Oresme, un chanoine de Paris et de Rouen qui finit évêque de Lisieux, de 1377 jusqu’à sa mort en 1382 ? Comme l’écrit Gilbert Ouy, par ses traductions commentées de « certaines des principales œuvres d’Aristote, l’Éthique, la Politique, l’Économique, le Livre du ciel et du monde (…) Oresme a clairement conscience d’innover » : il pratique une translatio studii du latin en français analogue à celle opérée par Cicéron du grec au latin. Dans son ultime mise au point, sa traduction de la Politique, commencée deux ans plus tôt, est de 1374. Il me plaît de rappeler que cette année-là, le 26 mai, alors qu’il résidait à l’abbaye de Chaalis, Charles V écrivit à son trésorier Jean d’Orléans de verser sans délai 200 francs d’or, sous peine, en cas de tergiversation, d’encourir son indignation, à maître Nicole Oresme, alors doyen de Rouen, pour sa traduction des deux livres de la Politique et de l’Économique, « lesquiex nous sont tres neccessaires ».L’œuvre eut du succès. Elle figurait par exemple dans les « librairies » non seulement de Charles V et de Charles VI mais aussi du duc Louis d’Anjou, de Jean de Montagu, de Charles, comte du Maine, frère du roi René, de Charles d’Orléans et de son frère Jean, comte d’Angoulême, des échevins de Rouen, du très réputé collège de Navarre auquel Oresme avait appartenu, de l’abbaye Saint-Victor de Paris, d’Yvon du Fou, bibliophile et grand veneur de France. Dès 1489, Antoine Vérard imprima l’ouvrage. S’est aussi conservé un manuscrit ayant appartenu à Oresme, passé ensuite à son neveu Henri, chanoine de Bayeux.

Impossible ici d’épuiser ni même d’esquisser la richesse de l’ouvrage. Je dirai seulement qu’Oresme ajouta à sa traduction glosée une très ingénieuse « table des notables », c’est-à-dire des matières, où figure une liste de noms communs pourvus de leur définition et d’un renvoi au passage concerné de l’ouvrage lui-même. Ainsi les mot « royalme » : « tyrannie », « tyrant », « translacion de princeys et de policies » (nous dirions transfert de souveraineté et de pouvoir, deux craintes très présentes à l’esprit des gouvernants français de l’époque) font l’objet de définitions et de renvois. De façon très pédagogique, Nicole Oresme a encore ajouté une « table des exposicions des fors mos de Politique », avec ce commentaire : « En chescun art et en chescune science sunt aucuns termes ou mos propre a tel art ou a tele science. Et pour ce, les mos qui sunt propres a ceste science de politiques ou qui ne sunt pas en commun parler sunt ici après exposés et mis en table », selon l’ordre alphabétique. Sous sa plume figure par exemple cette remarque sur la démocratie : dans ce régime, « le peuple assemblé traite de toutes choses », ce qui dissout et défait « la puissance du conseil ».Enfin, à titre explicatif, deux manuscrits jumeaux comportent deux miniatures en pleine page où figurent les représentations parallèles des trois bons gouvernements, ceux où règnent la concorde, la discussion, la négociation, « royaume », « aristocracie » et « tymocracie » (une formule politique censée profiter aux riches comme aux pauvres), et des trois mauvais gouvernements, dominés par la violence et la cruauté, « tyrannie », « olygarchie » et « democracie ».Évidemment, on peut se demander de quelle utilité furent ces définitions, ces explications, ces mises en garde, cette présentation des modèles et des contre-modèles pour l’exercice réel du pouvoir. A supposer que le jeune Charles VI, attentif aux conseils de Philippe de Mézières dans le Songe du Vieil Pelerin, se soit « souverainement » délecté à lire et à étudier « les deux livres solennelz que compousa le tressaige philosophe et theologien maistre Nichole Oresme», « c’est assavoir les livres d’ethiques et de politiques qui singulierement appartiennent » à la royale majesté pour son « gouvernement » et le « gouvernement » de son peuple, à supposer que le futur Charles VII ait fait de même au temps de son adolescence et de sa formation intellectuelle comme l’y invitait Jean Gerson, qu’en auraient-ils tiré, qu’en tirèrent-ils ?J’imagine que ces doctes leçons, dont il dut avoir des échos, ne suscitèrent chez Philippe de Commynes, qui, lui, avait été vraiment aux affaires, au sommet et auprès de quel maître ! , qu’un haussement d’épaules amusé ou irrité. Et pourtant, cela ne l’empêcha pas de jouer dans sa vie et de prôner dans ses Mémoires la carte des États généraux.

Mais surtout, comment ne pas constater que, parallèlement à la gouvernance pratique, la trace aristotélicienne fut loin de se perdre ? Claude de Seyssel, issu d’une noble famille savoyarde, juriste de formation, homme de belle culture et de vive curiosité, grand serviteur de la couronne de France depuis l’avènement de Louis XII en 1498, devenu par la faveur de ce dernier évêque de Marseille, fut à la fois un homme de plume et de gouvernement, connaissant à fond les affaires d’Italie. Dans le prologue de sa traduction d’Appien, dédiée à Louis XII, il soutient comme une vérité d’évidence que la monarchie est le meilleur mode de gouvernement mais à condition qu’il y ait « bon prince », ayant « sens, expérience et vouloir de bien et justement gouverner ». Or, étant donné la « licence » que possède le prince, il lui est difficile de « garder la raison et tenir » droite la « balance de justice ». C’est pourquoi on pourrait a priori penser que le gouvernement aristocratique, exercé par des « personnages choisis et élus par l’assemblée du peuple », et donc « sujets à correction et mutation », est le plus raisonnable, le plus louable, le plus durable, le mieux fondé et le mieux toléré. Mais l’expérience montre que ce régime débouche sur les discordes, les brigues, les haines, les séditions, les mutineries, les violences, les expulsions, les bannissements, les persécutions. Quant à l’état populaire, inutile d’insister : il a toujours été turbulent, dangereux, ennemi des gens de bien. Trois mots le définissent : « impétuosité, confusion et discorde ». Reste la monarchie, quand bien même elle risque de tomber dans la décadence et/ou la tyrannie. Or, à parcourir l’histoire universelle, il apparaît que « la plus grande partie du monde s’est presque toujours gouvernée et encores à présent se gouverne par rois et monarques ». Cependant, force est de constater qu’en raison de l’imbécillité et de l’imperfection humaine, les monarchies ont fini par tomber en décadence « et finalement en ruine et totale mutation ». Mais précisément, il y a une exception, l’exception française dont la monarchie est à l’abri de ce risque car elle est pourvue de freins à la fois moraux et institutionnels, ce qui permet de lui attribuer le label de régime mixte. La monarchie française est « si raisonnable et si politique qu’elle est toute aliénée de tyrannie ». Le roi de France est un « monarque aimé, obéi et révéré » comme nulle part ailleurs, dont la « souveraine liberté » est réglée et limitée par de bonnes lois et de belles ordonnances, par la multitude et l’autorité des officiers, lesquels forment de facto une sorte de contre-pouvoir, par la présence autour de sa personne de plusieurs princes et autres grands, clercs et laïques, par le conseil desquels sont conduites « les matières de la paix et de la guerre concernant l’État ». Bref, «le gouvernement et empire monarchique est le meilleur entre les autres politiques » et, merveilleusement, « celui de France est le plus civil et mieux policié de toutes les autres [régimes] monarchiques qui ont esté et sont de present ». Naturellement, il est permis de se demander (et c’est ce que Sir John Fortescue a voulu montrer dans ses traités politiques) si l’Angleterre, avec les limites qu’y connaît la prérogative royale, avec ses chambres des lords et des communes, avec sa common law, n’aurait pas davantage le droit de se prétendre gouvernée de façon équilibrée, ou encore Florence, Venise et bien d’autres cités italiennes : vaste débat dans lequel je n’entrerai pas.

Je me contenterai pour conclure de souligner la convergence des deux démarches que je viens sommairement de décrire : à la fin du Moyen Âge, l’existence, constamment rappelée, notamment par l’image, du patrimoine spirituel unique de la royauté française, protégée par ses saints attitrés (Michel, Charlemagne, Louis et Denis), ainsi que la croyance largement et complaisamment partagée dans l’excellence de sa constitution au regard de la science politique plaident pour ce qu’on pourrait appeler le mythe de la double exception française. Non sans connaître diverses métamorphoses, ce mythe devait avoir la vie dure : est-il même sûr que nous l’ayons abandonné, est-il sûr que nous souhaitions l’abandonner ? Mais la réponse à ces deux questions serait un autre sujet, appartenant à une autre Académie, appartenant aussi à chacun d’entre nous.