Coupoles Allocution d’accueil par M. Nicolas GRIMAL Secrétaire perpétuel de l’Académie

Allocution d’accueil par M. Nicolas GRIMAL Secrétaire perpétuel de l’Académie

 

Monsieur le Chancelier de l’Institut de France, 

Monsieur le Secrétaire perpétuel de l’Académie française, 

Monsieur le Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, 

Monsieur le Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques, 

Madame et Monsieur les Secrétaires perpétuels honoraires, 

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, 

Monseigneur, 

Monsieur le Général, 

Mesdames les directeurs de grands établissements, 

Madame et Monsieur les fondateurs, 

Chers Confrères, chères Consœurs,  

Chers collègues, 

Mesdames, Messieurs, 

 

Rappelez-vous ! Vous aviez huit ans, peut-être douze, ou dix. Oui, dix, c’est mieux. C’est l’âge qui est encore habité par l’émerveillement. C’est aussi et surtout celui de la curiosité insatiable, celle que rien n’arrête, et surtout pas les adultes.  

Mais ce sont tout de même ces adultes qui vous ont envoyé vous coucher, au prétexte que l’heure des enfants est passée. Et vous voilà dans le noir, à essayer de retenir un monde que la fatigue commence à estomper. Les yeux se ferment progressivement pour mieux s’ouvrir sur la galaxie des rêves. Tout y est possible, du lapin pressé qui a peur d’être en retard au lutin volant, mais la fée aux ailes de libellule cède vide la place au vide des étoiles, que commencent à parcourir d’étranges chevaliers, venus d’autres univers. Et c’est tous sens en éveil que vous perdez conscience. 

Certains au matin, ont oublié la magie de la nuit ; d’autres, une fois revenus sur terre, choisissent de poursuivre la quête de l’inconnu à peine entr’aperçu. Regardez bien notre petite cohorte savante qui ouvre devant vous sa carrière d’une année ! Certes, le temps a passé et nous n’avons plus dix ans, mais nous sommes toujours les mêmes enfants qui n’ont pas renoncé au rêve. Quel que soit le champ auquel nous avons décidé — souvent très jeunes — de consacrer nos vies, c’est presque toujours la soif de découvrir qui a guidé notre engagement. 

Pour un archéologue, me direz-vous, il est facile de tenir ce genre de propos : la découverte est notre lot ! Mais est-ce seulement la découverte ? La plus belle œuvre d’art, le plus beau monument, le site le plus passionnant, une fois découverts, étudiés, compris, deviennent fossiles de musée ou structures mortes, que des théories de touristes regardent sans en comprendre la raison. Tout comme les humains, ils ont besoin d’être compris et aimés pour vivre. 

Ne pas confondre donc découverte et connaissance, ne pas mélanger le chemin et le but, ne pas se limiter au chapeau d’Indiana Jones ou au sourire de la Joconde. 

C’est justement en chemin que s’endort l’enfant, pour mieux imaginer l’objet de sa quête. Celle-ci peut être aussi bien à l’échelle de l’univers qu’à celle de son monde à lui.  

 

Découvrir 

Le métier d’archéologue consiste, par définition, à découvrir : que ce soit ce qui était jusque-là caché ou ignoré où ce que le passage du temps a dissimulé. L’accumulation des générations, le cours tumultueux de l’histoire façonne peu à peu le mille-feuille des vies empilées, que le chercheur doit découvrir, étape par étape, avec le plus grand soin, car la découverte est, dans ce cas, synonyme de destruction. Mais comment mettre au jour les couches les plus anciennes sans détruire les plus récentes ? On peut démonter et conserver une peinture surimposée sur une qui lui est antérieure dans le temps, bravant au besoin la convention de Venise, qui interdit cette pratique au nom de l’histoire la plus récente. Que faire sinon  

Je pense à un de ces accidents providentiels dont il m’a été donné d’être témoin. Dans le début des années 90 du siècle dernier, un moine maladroit avait mis le feu involontairement à la ciergerie du monastère de Deir es-Souriani, au Ouadi Natroun, dans le désert occidental égyptien. Une peinture copte du XVIe siècle, que nos équipes venaient de restaurer, fut ainsi fort endommagée, suffisamment en tout cas pour que les vénérables frères surmontent leur répugnance à voir des intrus entrer à nouveau dans leur petit royaume et fassent appel aux équipes de l’Institut français d’archéologie orientale pour venir réparer les dégâts. La restauration fit apparaître une autre peinture, beaucoup plus ancienne, qui datait de la première occupation des lieux par des moines syriens, au plus tard en tout cas au IXe siècle après J.-C. Elle apportait ainsi un témoignage unique de l’origine byzantine de la peinture religieuse égyptienne des premiers temps. L’œuvre la plus ancienne est aujourd’hui restée en place dans le monastère ; celle du XVIe siècle a retrouvé son lustre original ; elle est désormais exposée au Musée copte du Caire, déposée sur une armature reproduisant les contours de la conque sur laquelle elle fut peinte.  

Découvrir est dans ce cas synonyme de retrouver, reprendre, s’approprier à nouveau. Une peinture peut ainsi éclairer tout un pan d’histoire, qu’avait masqué le passage du temps, non pas du fait d’une quelconque intention mauvaise, mais simplement parce que l’histoire écrase les instants, les fondant dans une continuité inégale.  

 

Notre Consœur Françoise Briquel-Chatonnet va nous transporter dans quelques minutes à l’époque contemporaine de ce témoin de la naissance de l’art chrétien d’Égypte, lorsque Timothée était, en Orient, ce que Charlemagne était, au même moment, en Occident, lorsque le christianisme oriental rayonnait jusqu’au fin fond de l’Inde. Elle va soulever pour nous le voile du temps pour reconstituer, grâce au riche maillage de la recherche, une période dont beaucoup ignorent la splendeur passée.   

 

Car, à bien y réfléchir, toutes les sciences, même celles de la vie et de la terre, pour lesquelles le mot « découvrir » semble synonyme de progrès, ne font rien d’autre qu’affiner notre connaissance de ce qui existait déjà avant que nous en prenions conscience. Les composants d’un nouvel assemblage de molécules restent des éléments premiers : seule leur combinaison leur découvre des compétences jusque-là insoupçonnées. Elle est le fruit d’une découverte, pas les matériaux qui la composent. 

Mais notre compagnie ne s’occupe ni de biologie, ni de mathématiques, ni de physique. Nos étoiles ne sont pas nouvelles : nous les retrouvons dans les ouvrages et les témoignages que nous a laissés l’histoire. La découverte pour nous n’est jamais, à proprement parler, une surprise, née d’un élément inconnu ; elle vient couronner un patient travail, dont le rhapsode est bien loin de l’image romantique du découvreur d’horizons nouveaux. Tout au contraire, il arpente des terres souvent déjà connues et explorées, mais sous un angle dont le temps avait appris à se satisfaire, sans chercher plus loin ; il suffit alors de modifier, parfois légèrement, la perspective, au besoin en tenant un plus grand compte de problématiques actuelles. Le simple fait de prendre en considération des préoccupations qui sont devenues aujourd’hui les nôtres, alors que les Anciens ne les avaient guère ou pas envisagées, peut changer de manière définitive, irrévocable, notre regard sur le passé.  

Il y a là pour nous un sujet à méditer. La négation du passé fait aussi peu sens que les tentatives de le réécrire. Que les dictatures aient jadis comme naguère, et, hélas ! aujourd’hui encore, cherché à changer le passé pour justifier leur abominable présent, n’est pas nouveau. Même les anciens Égyptiens, d’apparence si pacifique et bonhomme, étaient rendus maîtres dans l’art de la damnatio memoriae. Cela leur était d’autant plus facile que l’immortalité à laquelle ils aspiraient — eux aussi ! — Prenait ses racines dans le souvenir des générations. Le pire qui pouvait les atteindre était l’oubli. C’est toujours le cas pour nous.  

Restons donc un rempart contre ces tentatives qui ne reposent que sur l’ignorance. Ne voulant pas en cette enceinte, qui nous est sacrée, offenser les oreilles de nos Confrères et Consœurs de l’Académie française par le son rugueux d’un anglicisme, je dirai, comme mon cher Laurent Pernot va vous le dire, que l’effacisme ne passera pas. Je n’ai pas besoin de souligner, car cela ne vous a certainement pas échappé, que ce néologisme a des consonances qui rappellent bien fâcheux souvenirs. 

 

Notre Confrère André Vauchez va nous administrer, lui, la démonstration de ce que peut apporter un éclairage nouveau, en puisant dans sa grande connaissance des sources et des mentalités du quatorzième siècle. Il va faire émerger pour nous le rôle de la femme, « la cause des femmes », comme l’expression en a été consacrée, dans la vie intellectuelle de ce Moyen Âge finissant, évoquant « Des femmes, maîtres spirituels ! Une découverte aux derniers siècles du Moyen Âge » 

 

Ne boudons donc pas notre plaisir ! Découvrir garde toujours, quelle que soit la découverte, quel que soit son support, le parfum d’aventure qui exerçait sur chacun de nous ce si fort magnétisme lorsque nous nous mimes en marche sur son chemin parfois bien tortueux. Notre Confrère Laurent Pernot va dans quelques instants nous entraîner dans une enquête haletante, que ni Sylvestre Bonnard ni Guillaume de Baskerville n’eussent désapprouvée. Mais il ne s’y agira point de Jacques de Voragine, ni du second livre de la Poétique d’Aristote. Il s’agira de bien mieux encore ! Laurent Pernot nous conduira dans la quête de rien moins qu’Archimède et Hypéride, à travers un siècle d’un roman quasi policier, dont le héros est la littérature grecque. 

 

Que les enfants écoutent religieusement ces leçons de la puissance de l’histoire et de la littérature et que les adultes essaient de les suivre  

Je vous remercie.