Coupoles Bilan 2003
Par M. Gilbert DAGRON, Président de l’Académie
Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Chancelier de l’Institut,
Messieurs les Secrétaires perpétuels,
Chers Confrères,
Mesdames, Messieurs,
La tradition veut que le Président brosse un tableau des événements marquants et des activités de l’Académie depuis la précédente rentrée, retardant ainsi le plaisir que vous aurez à écouter nos orateurs de ce jour, M. Roland Recht et Mme Juliette de la Genière, mais apportant ce que peut apporter un bilan, même sommaire, du proche passé : des perspectives sur le proche avenir.
Le devoir de mémoire me fait d’abord obligation d’évoquer le nom et la carrière des trois membres correspondants de notre Académie, étrangers et français, disparus durant l’année écoulée.
Mme Lilly Kahil, décédée à Garches le 4 décembre 2002, était venue du Caire pour se former aux études grecques et à l’archéologie à l’Université de Bâle, puis à la Sorbonne et à l’École française d’Athènes. Professeur à l’Université de Fribourg, à l’Université Laval et à l’Université de Paris X, elle avait été nommée directeur de recherches au Centre National de la Recherche Scientifique. En la choisissant comme membre correspondant étranger en 1992, notre Académie avait voulu souligner l’importance de son œuvre, et tout spécialement de la grande entreprise à laquelle elle s’était dévouée et dont elle a eu la joie de voir l’achèvement, le Lexicon iconographicum mythologiae classicae.
M. Robert J. Braidwood, décédé le 16 janvier 2003 à Chicago, avait été nommé correspondant étranger de notre Académie en 1985. Architecte de formation, il avait enseigné de 1943 à 1977 à l’Université de Chicago et avait participé aux fouilles de l’Oriental Institut sur le Tigre et en Syrie du Nord. Éminent spécialiste du Néolithique, il avait mis au point une « théorie des piémonts » qui avait exercé une influence notable sur les recherches en Préhistoire, en conduisant les archéologues du Moyen-Orient à collaborer plus étroitement avec les chercheurs en sciences naturelles.
M. Georges Roux, décédé le 30 juillet 2003 à Lyon, était correspondant français de notre Académie depuis 1983. Né à Sorgues dans le Comtat Venaissin, il avait fait ses études à l’Université de Lyon, où il était revenu, après un long séjour à l’École d’Athènes, pour enseigner le grec. Dans sa culture, ses goûts et ses travaux, littérature et archéologie se rejoignaient, et des études sur les tragiques s’ajoutent, dans sa bibliographie, aux livres, qui ont assuré sa renommée, sur la terrasse d’Attale Ier à Delphes et sur le site de Salamine de Chypre où il fut attiré par notre regretté confrère Jean Pouilloux. Sa publication de l’immense basilique de la Campanopétra a montré avec quelle justesse l’archéologue « classique » avait su comprendre les problèmes spécifiques de l’archéologie paléochrétienne.
Saluons avec respect le souvenir de ces disparus, dont l’œuvre restera présente.
Organisme vivant, et qui donc se renouvelle, notre Académie a eu dans le même temps la joie d’accueillir deux nouveaux confrères français qui lui apportent leur compétence et leur dynamisme.
M. André LARONDE, élu au fauteuil de M. Antoine Guillaumont le 15 novembre 2002, est né à Grenoble et a enseigné à l’Université de cette ville avant d’occuper, à partir de 1983, la chaire d’Histoire grecque de l’Université de Paris IV-Sorbonne. Sa vocation d’archéologue l’a conduit en Libye, et il fut intégré dès 1976 à la mission française de Cyrénaïque, dont notre confrère François Chamoux lui confia plus tard la direction. Ses fouilles de Cyrène et d’Apollonia ont profondément renouvelé nos connaissances sur l’histoire de la Libye à l’époque hellénistique et romaine.
M. Roland RECHT, élu au fauteuil de M. Francis Salet le 31 janvier 2003, est né à Strasbourg et a mené de front dans cette ville-symbole de la culture européenne une carrière universitaire et une carrière de conservateur. Le Collège de France a créé pour lui, il y a deux ans, une chaire d’Histoire de l’Art européen médiéval et moderne dont l’intitulé dit assez l’ampleur de son savoir et la profondeur de sa réflexion. En partant de l’architecture gothique, M. Recht étudie sa réception à travers les siècles, s’intéresse aux rapports entre les dessins d’architectes et l’architecture elle-même, comprend la cathédrale, ses vitraux, ses sculptures, son mobilier, sa liturgie dans l’unité d’une histoire du regard et prolonge jusqu’à nous une analyse de l’idée de patrimoine.
L’augmentation du nombre de postes d’associés étrangers, nécessaire pour répondre au rôle international de notre Académie et à une mondialisation de la culture et de l’érudition à laquelle personne ne trouvera à redire, nous a permis d’élire quatre nouveaux confrères.
M. John BADLWIN, élu le 14 février 2003, est né à Chicago et a enseigné à l’Université Johns Hopkins de Baltimore. Il s’est consacré à l’étude de Philippe Auguste, c’est-à-dire de la France du XIIe-XIIIe siècle, et à l’analyse des fondements du pouvoir royal. Excellent connaisseur des archives, il a été associé par notre confrère Robert-Henri Bautier à la publication des Registres de Philippe Auguste; brillant historien, il a écrit une grande synthèse sur le gouvernement de ce roi, et de nombreux ouvrages sur la société et la littérature de son temps.
M. Denis KNOEPFLER, élu le 14 février 2003, est né à Bienne en Suisse. Ancien membre étranger de l’École française d’Athènes, il a su conjuguer une brillante carrière d’enseignant à l’Université de Neuchâtel et un itinéraire de chercheur invité dans les plus grands centres internationaux. Il a tout récemment été élu au Collège de France, où il occupera une chaire d’Épigraphie et histoire des cités grecques. Tel est bien le domaine – largement balisé par notre regretté confrère Louis Robert – dans lequel il excelle, partant des inscriptions, du monnayage et des sources écrites pour mettre en évidence les traits qui caractérisent l’organisation de chaque cité, ses liens diplomatiques avec d’autres cités ou la personnalité de ses citoyens les plus illustres.
M. Robert HALLEUX, élu le 7 mars 2003, est né à Villers-l’Évêque en Belgique. Dans une discipline, l’histoire des sciences, qu’il domine dans son ensemble, il est le maître incontesté des études sur la métallurgie et l’alchimie antiques et médiévales, sur l’affinage et le traitement de l’or monnayé, domaines où se superposent un savoir scientifique, un savoir-faire artisanal et une philosophie souvent obscurcie par des spéculations ésotériques. Grâce à sa double compétence de savant et d’éditeur de textes, nous avons aujourd’hui un accès moins malaisé aux recettes alchimiques, aux traités sur les pierres précieuses et à une tradition bien particulière, qui s’est prolongée jusqu’à l’âge industriel.
M. Emilio Marin, élu le 7 mars 2003, né à Split en Croatie, est depuis 1988 le directeur du Musée archéologique de cette admirable ville, dont il a programmé le complet réaménagement. Historien de la civilisation romaine et de l’Antiquité tardive en Dalmatie, il a dirigé les fouilles de Salone et de Narona, qui apportent tant d’éléments nouveaux à notre connaissance de l’urbanisme antique, à la compréhension du culte impérial et à l’étude typologique des basiliques paléochrétiennes. Son talent d’organisateur lui a permis, dans les circonstances difficiles que l’on devine, de maintenir à un haut niveau la recherche archéologique en Croatie et de sauvegarder une coopération traditionnellement amicale entre les équipes d’archéologues croates et français.
Enfin, pour avoir une meilleure prise sur les domaines relevant de sa compétence – sans prétendre les couvrir tous – et pour donner à la pyramide des âges académique une forme plus prometteuse, notre Compagnie a souhaité associer à ses travaux des correspondants français plus nombreux. Les bienfaits de cet élargissement se sont vite fait sentir, pendant les séances par des interventions et des compte rendus d’ouvrages plus diversifiés, dans les commissions par une étude plus précise des dossiers. C’est pour aller plus loin dans ce sens que huit nouveaux correspondants français ont été élus tout récemment, le 7 novembre, par un choix qui se fonde, dans tous les cas, sur la valeur d’une œuvre et sur l’enrichissement que l’Académie attend d’une collaboration.Ont été élus :
M. Jacques Dalarun, ancien directeur scientifique pour les Études médiévales à l’École française de Rome, depuis 1998 Directeur de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes du Centre National de la Recherche Scientifique, connu pour ses travaux sur l’histoire religieuse, la sainteté et la spiritualité franciscaine.
M. Pierre Gros, professeur de « Langue et civilisation latine » à l’Université de Provence depuis 1979 et membre de l’Institut Universitaire de France depuis 1995, historien et archéologue, éminent spécialiste de l’architecture romaine et éditeur de Vitruve.
M. Pierre-Yves Lambert, directeur de recherche au CNRS et Directeur d’Études à l’École pratique des Hautes Études (IVe section), ancien disciple et collaborateur de notre regretté confrère Michel Lejeune, qui représentera plus particulièrement les études celtiques, dont il est le maître en France.8 M. André Lemaire, directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études (IVe section), brillant représentant des études sémitiques anciennes, dont les travaux épigraphiques ont été plusieurs fois distingués par l’Académie.
M. Alain Pasquier, Conservateur général du Patrimoine, Directeur depuis 1984 du département des « Antiquités grecques, étrusques et romaines » du musée du Louvre, qui nous apportera le concours de sa culture, de sa parfaite connaissance de l’art antique et de sa grande compétence muséographique.
M. Jean-Noël Robert, directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études (Ve section), meilleur spécialiste en France du bouddhisme japonais et de ses antécédents chinois, qui a accepté de prendre la direction d’une encyclopédie, le Hôbô-Girin, dont l’achèvement est l’un des grands projets de notre Académie.
Mme Véronique Schiltz, qui a longtemps dirigé la section d’Archéologie et Histoire de l’Art de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Besançon, et s’est fait connaître par ses remarquables travaux sur l’hellénisme oriental et la culture des peuples des steppes, chasse gardée de chercheurs russes avec lesquels elle a su établir une fructueuse collaboration.
M. Jean-Yves Tilliette, directeur scientifique pour les études médiévales à l’École française de Rome de 1986 à 1990, et depuis lors Professeur de langue et littérature latines médiévales à l’Université de Genève, qui a édité les poèmes de Baudri de Bourgueil et s’est particulièrement intéressé aux lectures médiévales de Virgile.
Nos séances du vendredi nous ont permis d’écouter plus de cinquante communications ou notes d’information sur les sujets les plus variés allant de la Grèce à Rome et à Byzance, des textes gnostiques de Nag Hamadi aux disputationes bouddhiques, de la Chine de Matteo Ricci à l’Inde nationaliste. Épigraphistes, archéologues ou conservateurs sont venus nous faire partager l’émotion de leurs toutes fraîches découvertes ou nous présenter les récentes acquisitions de leur musée. J’insisterai seulement sur quelques événements exceptionnels.
– Le 7 février, une journée a été consacrée à l’histoire et à la géographie historique du Maghreb antique et médiéval à travers l’archéologie et les sources écrites. Cette journée a été complétée tout au long de l’année par de nombreuses communications d’archéologues et épigraphistes, et par la présentation, à l’occasion de l'”Année de l’Algérie”, du IIIe et dernier volume des Inscriptions latines de l’Algérie, commencé par Stéphane Gsell au lendemain de la première guerre mondiale et enfin publié sous l’égide de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et de la République d’Algérie.
– Le 14 mars, nous avons célébré dix ans d’activité de la France pour la sauvegarde du site d’Angkor, avec une présentation des nouvelles recherches et prospections sur le site angkorien.
–Le 3 octobre, notre Secrétaire perpétuel Jean Leclant a prononcé, en présence de M. Omar el-Bechir, Président de la République du Soudan, une brillante et savante conférence sur « L’archéologie : une coopération franco-soudanaise exemplaire ».
–Enfin, le 14 novembre dernier, nous avons rendu hommage à la mémoire d’André Dupont-Sommer, et six orateurs ont évoqué l’importance de son rôle comme Secrétaire perpétuel et la richesse d’une œuvre qui, à travers l’épigraphie sémitique, les manuscrits de Qumrân et les apocryphes ou pseudépigraphes de l’Ancien Testament, a multiplié les découvertes et donné sa dimension scientifique à l’histoire des religions.
L’honneur de présider l’Institut de France revenait cette année à notre Académie, qui a donc pris une part très active aux événements marquants de ces douze derniers mois.
–Le 11 février, M. Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie, a été accueilli par le Chancelier et le Bureau de l’Institut et conduit à travers le palais par notre confrère Jean-Pierre Babelon. À cette occasion nous avons pu rencontrer quelques-uns des membres les plus éminents de l’Académie des Sciences de Moscou, parmi lesquels M. Gregory Bongard-Lévine, associé étranger de notre Académie, et écouter notre Secrétaire perpétuel, qui a évoqué la visite de Pierre le Grand en 1717.
– Pour la séance de rentrée des cinq Académies, le 21 octobre, le thème « Changement et Progrès » avait été retenu, et notre confrère Claude Nicolet a bien voulu accepter de représenter l’Académie avec un discours remarqué sur « Anacyclose : “progrès de l’esprit”, “fin de l’Histoire” ? »
– Le jeudi 20 novembre, M. Ion Iliescu, Président de la République de Roumanie, a été reçu à l’Institut, et M. Jean Leclant, notre Secrétaire perpétuel, n’a pas manqué de rappeler, dans l’allocution qu’il a prononcée, les liens privilégiés qui unissent depuis toujours notre Académie à l’Académie roumaine et les publications communes qui en ont résulté.
J’ai parlé des personnes, des événements, des exposés faits en séance, afin de donner une image vivante et variée de nos activités. Mais quiconque a la moindre expérience des disciplines que nous représentons sait qu’une recherche n’est vraiment achevée que lorsqu’elle est publiée, et comprend – ou devine – quelle attention et quelle compétence suppose, après l’élaboration d’un manuscrit par un ou plusieurs auteurs, la transformation de ce manuscrit en livre. Il faut donc remercier notre Secrétaire perpétuel, ceux de nos confrères qui assument des responsabilités éditoriales et les membres du Secrétariat de notre Académie qui s’occupent des publications de leur vigilance et de leur dévouement, qui ont permis, cette année encore, la parution régulière des fascicules ou volumes de nos périodiques (les Comptes rendus de l’Académie et le très ancien Journal des Savants), et des nouveaux tomes venus enrichir les collections dont nous avons la charge (les Monuments Piot, le Corpus vasorum antiquorum, les Cahiers de la Villa Kérylos, le Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine dit « Nouvel Espérandieu », les « Historiens des Croisades »). Une mention particulière doit être faite des six volumes qui complètent la Carte archéologique de la Gaule, du volume qui a été dédié à notre confrère Jean Schneider à l’occasion de son centenaire, et de deux Mémoires de l’Académie qui sont sortis ou vont sortir des presses : une traduction en français du livre de Michael Rostovtzeff sur La peinture décorative antique en Russie méridionale, et un livre de notre confrère Robert Turcan sur les Liturgies de l’initiation bachique à l’époque romaine.
Puisse ce discours d’ouverture, long et austère, vous laisser au moins le sentiment que notre Académie joue un rôle actif dans notre pays, qu’elle est à l’aise dans les habits européens que lui a taillés sa longue tradition, et qu’elle voudrait refléter – autant qu’elle le peut – l’universalité de toutes les grandes cultures du monde.