Coupoles Henri-Paul FRANCFORT : « Sur le déchiffrement des arts anciens de l’Asie centrale »

Henri-Paul FRANCFORT : « Sur le déchiffrement des arts anciens de l’Asie centrale »

 

En cette année de célébration du bicentenaire de Champollion et de la Société Asiatique, il a beaucoup été question du déchiffrement d’écritures et de langues anciennes.

Déchiffrer peut s’entendre comme pouvoir lire ce qui est écrit en chiffres, c’est-à-dire dans des écritures inconnues ou codées, à l’aide de clefs.

 

Dans une acception plus large, la lecture peut s’exercer sur tout ce qui paraît chiffré, des partitions musicales à la clef des songes, jusqu’à l’ADN comme l’indique un récent colloque. Le déchiffrement s’applique donc à tenter de comprendre des configurations inconnues de signes. Cette démarche rappelle les efforts logiques et conceptuels de la sémiologie, discipline remontant à la linguistique saussurienne et développée à l’ère du structuralisme. Différentes sémiologies se sont penchées sur des textes, mais aussi sur des images, considérées comme relevant de systèmes de signes à décoder, et proposant parfois des « lectures ».

De leur côté, les arts européens anciens sont largement mimétiques, étant issus de ceux de l’Antiquité et donc de l’Orient, la Grèce et Rome. Le problème du langage y est résolu dans une sorte de cercle vertueux. L’on peut y soutenir que l’image illustre un texte (d’où le célébrissime « Ut pictura poesis »), tandis qu’à l’inverse certains écrits s’appliquent à représenter des images (on pratique alors l’ekphrasis, comme Philostrate au IIIe s.). Nul n’a mieux rendu compte des exigences érudites d’une telle rhétorique que le regretté Marc Fumaroli  dans son ultime ouvrage, Lire les arts.

Les arts anciens, seraient-ils donc une sorte langage à déchiffrer ? et que serait-il possible d’y décoder : des intentions, des significations, des fonctions ? Les discussions sont ouvertes.

Ainsi, Ernst Gombrich, grand historien de l’art, avait pensé publier Le monde visible et le langage de l’art, un ouvrage célèbre, finalement intitulé L’art et l’illusion. Le philosophe Nelson Goodman écrivit Langages de l’art, livre que Gombrich qualifia de nominaliste pur et dur, car : « [il] veut assimiler les images artistiques aux mots du langage. » La question est clairement posée.

Le renvoi spéculaire entre texte, y compris oral, et image devient largement métaphorique lorsqu’il s’agit de déchiffrer des arts de sociétés anciennes sans écriture, tels ceux de la Préhistoire ou ceux de communautés autochtones du passé. Dès lors, l’on tente généralement de comprendre l’art par l’art, et, pour des pièces peu familières ou déroutantes, l’on s’appuie sur l’intelligibilité du mieux connu, l’art européen, ou sur les discours ethnologiques. Immédiatement, surgit une interrogation : les procédés d’analyse ou de déchiffrement mis en œuvre sont-ils propres à chaque corpus, à chaque civilisation, culture ou tribu, ou ressortent-ils d’une démarche plus générale, sinon même universelle ?

Les arts de l’Asie centrale appartiennent à cette catégorie dépourvue ou pauvre en textes, comme le montrent trois cas exemplaires :  les arts de l’Islam, notamment non-figuratifs, l’art dit « gréco-bouddhique » du Gandhāra et l’art des steppes de l’Eurasie orientale. Il s’agit d’aborder le problème de l’ornement avec le premier exemple, le rôle de la Grèce et de Rome dans le deuxième, enfin des visions et arts de mondes « premiers », pour le dernier.

 

L’Asie Centrale et ses arts ont fait l’objet d’une découverte tardive de la part de l’Occident, dont les savants s’illustraient dans le déchiffrement et l’édition des écrits proche- et moyen-orientaux.

Tout avait commencé avec une totale incompréhension, comme pour celui de la Perse aux XVII-XVIIIe siècle, lorsque l’abbé Dubos, écrivait en 1719 :

« II y a trente ans que le feu chevalier Chardin nous donna enfin les dessins des ruines de Persépolis. On voit par ces dessins que les rois de Perse, dont l’histoire ancienne nous vante tant l’opulence, n’avaient à leurs gages que des ouvriers médiocres. … on n’est plus aussi surpris, après avoir vu ces dessins, qu’Alexandre ait mis le feu dans un palais dont les ornements lui devaient paraître grossiers en comparaison de ce qu’il avait vu dans la Grèce … »

Les monuments de l’Asie centrale n’ont pas été mieux compris au moment de leur découverte. Les voyageurs britanniques Burnes et Masson, écrivant respectivement en 1834 et en 1842, excluaient catégoriquement que les statues des falaises de Bamiyan pussent représenter le Bouddha.  Ils les prirent pour des chefs de tribus. Il fallut attendre la « Belle-Époque » et surtout les « Années-folles » de l’entre-deux guerres pour que la connaissance des arts asiatiques s’améliorât. L’Asie jouissait alors d’une grande popularité, bénéficiait d’un véritable engouement. Dans le  contexte de l’expansion coloniale, un certain dilettantisme régnait à Paris. Rappelons les opéras orientalisants, les spectacles de danse, les expositions et toute une littérature.  Ainsi que l’époque le réclamait, René Grousset publiait, entre autres, de vastes généralisations où la chapelle Sixtine servait déjà de référence comparative aux peintures des grottes indiennes d’Ajanta. Pourtant, une remarquable réflexion scientifique fut conduite, notamment par l’École française d’Extrême-Orient et le Musée Guimet. Cet effort s’appuyait méthodiquement sur la connaissance des productions occidentales, comme les études du pilastre et du rinceau khmer par Philippe Stern et Gilberte de Coral-Rémusat.

Mais venons-en à notre premier cas.

 

L’art islamique, notamment non-figuratif est connu des Européens depuis son origine, du  moins dans le bassin méditerranéen. Le qualificatif d’islamique est ambigu, car il n’est pas spécifiquement religieux, étant appliqué à des édifices cultuels, mais aussi funéraires, civils, ou même à des objets domestiques. Il a souvent été assimilé à la décoration, en France depuis Jules Bourgoin à la fin du XIXe siècle, et il figure dans des grammaires de l’ornement, des taxinomies comprenant l’arabesque. Cette manière d’aborder ces réalisations les rattache toujours à la tradition ornementale classique, ne délaissant pas le formalisme de la Grammaire historique des arts plastiques ou des Stilfragen de Riegl.

Une première observation incite pourtant à sortir des clichés sur le bannissement de la figuration, dans les arts islamiques anciens de l’Asie centrale d’époque samanide, ghaznévide ou chez les Banijurides (entre le IXe et le XIIe s.).  Grâce à des vestiges de Boukhara, Lashkari-Bazar et Hulbuk, l’on découvre une plastique aulique raffinée, animée de traditions locales venant du fonds préislamique. Elle exalte les élites, leurs chasses et leurs fêtes musicales.

Quant à l’art non-figuratif, que nous connaissons par exemple sur des murs de Balkh, il a reçu des interprétations diverses. L’on a pu le prendre comme un simple prolongement historique des décors byzantins ; ou comme une pratique très élaborée de l’ornementation, ayant pour fonction d’encadrer, remplir, relier, de plaire à l’œil (selon Gombrich dans The sense of order). Ernst Diez développa sa conception, très générale, dans un cadre plutôt hégélien de l’évolution de l’art mondial, où se succèdent des stades dénommés : magique, démonique, polythéiste et monothéiste. Mais on l’a aussi regardé comme l’expression d’une vision épurée du monde, où des formes mathématisées expriment la spiritualité d’une société en quête d’absolu. Récemment, Hans Belting (dans Florence et Baghdad) le conçoit comme l’application géométrisée de la théorie de la vision du mathématicien, philosophe et physicien arabe Alhazen (Xe-XIe siècle). Il propose de reconnaître ainsi dans les muqarnah (stalactites) et la moucharabieh, la forme symbolique de l’Orient, un équivalent de la perspective dans l’art de l’Occident. Ce serait, en quelque sorte, une fenêtre pour regarder le monde, mais sans placer le spectateur dans le tableau. Cette acception très particulière du concept de « forme symbolique » est empruntée à Panofsky qui l’avait prise (détournée selon certains) à la Philosophie des formes symboliques d’Ernst Cassirer.

Par ailleurs, l’on s’est beaucoup intéressé au rapport apparent de ces formes avec le cubisme et l’art abstrait. Les notions d’abstraction, d’ornement, et de spiritualité apparaissent chez Kandinsky et Mondrian. Néanmoins, les termes utilisés, abstrait ou non-figuratif, ne rendent compte que d’une fraction des ensembles considérés. Aucune vue théorique ne paraît pouvoir en exprimer la totalité, sans d’audacieuses généralisations. L’art non-figuratif islamique ancien d’Asie centrale, calligraphie comprise, ne paraît donc pas en soi vraiment assimilable à un langage, sinon indéchiffrable.

 

Voyons ce qu’il en est avec l’Art dit « gréco-bouddhique » du Gandhāra.

Cette  dénomination est aujourd’hui largement remplacée par « art du Gandhāra ». Répandu au Pakistan et en Afghanistan, dans le Gandhāra, et jusqu’à la Bactriane, il date de la période kouchane, des trois premiers siècles de notre ère. Il est d’abord apparu comme singulier, sur un fond d’art bouddhique indien : que l’on songe à Sanchi. Alfred Foucher, grand indianiste célébré par notre Académie en 2007, le décrivit en 1905 et 1922. Il le conçut, si l’on risque un raccourci largement popularisé, comme une métamorphose esthétique d’Apollon en Bouddha, ou du Bouddha en Apollon. En conséquence, des rapports directs avec la Méditerranée gréco-romaine ont été cherchés dans les années 1920-1930, par René Grousset et Joseph Hackin (directeur du Musée Guimet et des missions de la Délégation archéologique française en Afghanistan). Suite aux fouilles du sanctuaire bactrien de Surkh Kotal, Daniel Schlumberger élabora finalement en 1960 un cadre interprétatif solide. Il reconnut, à l’origine des arts parthe et kouchan, celui de l’Orient hellénisé, composé du vieux fonds oriental achéménide, de l’art grec hellénistique et de celui des nouveaux arrivants nomades. Les œuvres gréco-bactriennes, hors les monnaies, ne furent pourtant connues qu’à partir de 1964, et des fouilles d’Aï Khanoum conduites par le regretté Paul Bernard. Cependant, l’on ne peut ignorer l’existence d’images indiennes dans d’autres contextes (Maurya et Śunga), ni passer sous silence des traités et des théories esthétiques indiens qui ne furent guère étudiés à l’époque. Ces textes eussent pourtant permis, dans une certaine mesure, de « lire » l’art du Gandhāra à l’aide de notions indiennes, et non des seuls critères occidentaux.

L’ensemble gandhārien comprend des reliefs et une statuaire, et l’on peut y reconnaître trois sortes de compositions. D’abord l’on identifie, grâce à la littérature, des scènes narratives, représentant les vies antérieures et la vie du Bouddha, des actions rituelles d’adorateurs, ou les spectaculaires assauts des armées de Mara le tentateur, où grimacent des démons à faces monstrueuses. Ensuite, ce sont des sculptures de présentation, en pleine frontalité, de Bouddhas, de Bodhisattvas (Maitreya, Avalokiteshvara) , reconnus grâce aux textes et analogues indiens. Enfin, l’on relève des moulures et des pilastres corinthiens, ou des bandeaux ornementaux ciselés de rinceaux de vigne, de lierre, de frises géométriques, ainsi que des séries de petits Érotes, parfois guirlandophores, provenant tous du monde méditerranéen, ou d’un art asiatique qui les avait assimilés auparavant.

Les éléments grecs sont bien reconnaissables. Ce sont des des traits stylistiques, comme un certain réalisme hellénisant de la figure humaine, ou des personnages connus : Atlantes, Ichtyocentaures, Héraclès, Tychè et Athéna. D’abord crus apportés de Rome, ils ont finalement été plutôt rattachés à la descendance de l’art hellénistique des royaumes gréco-bactriens. Mais est-ce suffisant pour croire complète la « lecture » de cet art du Gandhāra  ?

Un groupe particulier semble montrer qu’il n’en est rien. Il s’agit des nombreuses compositions dites dionysiaques, présentant des activités vinicoles et de boisson, de musique et de danse, ainsi que des scènes galantes. En dépit des vêtements, accessoires ou poteries typiquement « grecs », elles ne sont pas de simples répliques de tableaux dionysiaques gréco-romains. Des hypothèses ont donc été émises, se fondant sur le renoncement demandé aux adeptes pour atteindre le paradis (elles montreraient alors ce qu’il ne faut pas faire). D’autres y voient à l’inverse un ciel intermédiaire rempli de joyeuses bacchanales de Gandharvas et Yakṣas (peut-être des plaisirs pour le futur ?). D’autres enfin pensent y reconnaître des images destinées aux populations hellénisées attirées par le bouddhisme. Mais aucune ne parait actuellement totalement satisfaisante : les sources sont trop indirectement concernés par ces représentations.

Ainsi, l’expression « art gréco-bouddhique », ne qualifiait qu’une partie d’un ensemble, celle que nous pensions avoir déchiffrée. Renversant la perspective, une collègue a même pu proposer un « hellénisme orientalisé », augmentant ainsi le trousseau des clefs de lecture. L’adoption et la traduction « en gandhārien » de formes hellénistiques, pour un style nouveau, paraît donc plus complexe qu’on le crut jadis.

 

L’art des steppes de l’Asie, mon dernier cas, est corporel et mobilier. Il fut produit par des populations agrammates de nomades cavaliers scythes. Les référents classiques y manquent, sauf dans les parages de la mer Noire où l’on peut parler d’un art gréco-scythe. Connu depuis Pierre Ier , il ne devint un véritable objet d’étude qu’entre les deux guerres. Ainsi, à côté de savants russo-soviétiques et allemands, je n’aurai garde d’omettre les importants travaux de notre regrettée consœur Véronique Schiltz, qui publia en 1994 une somme sur les arts des Scythes, exposant une véritable grammaire, un déchiffrement.

Aussi définit-elle d’abord un vocabulaire (le bestiaire), une morphologie (le « style animalier »), qui « est en réalité une écriture, un ensemble de signes permettant l’identification immédiate non pas par rapport à l’observation des espèces, mais par référence au système. »

La syntaxe est l’occupation de l’espace, avec une place spéciale pour la représentation dédoublée, fondamentale. Le combat d’animaux est comme une phrase verbale, des « figures de style et des tropes plastiques » sont signalés : synecdoques, catachrèses, ellipses, anacoluthes formelles, et d’autres encore. Toutes contribuent à définir une poésie, sans arabesques gratuites, sans ornement, mais évoquant « la plus ancienne tradition de la rhétorique indo-européenne », avec, comme rimes, des formes réitérées. Bref, conclut Véronique Schiltz, cet art laisse le regard désemparé car il montre un perpétuel mouvement, celui du nomade. Il s’agit donc bien ici du déchiffrement de figures métaphoriques, obtenu à l’aide d’une méthode sémiologique, sur un corpus où le signe n’est pas arbitraire, mais iconique, où l’on montre ce que l’on sait, et non ce que l’on voit, à la différence de l’art illusionniste réaliste de tradition grecque.

Je me permets d’ajouter ici un exemple étonnant de traduction d’un langage artistique dans un autre. Il s’agit de l’adoption et la transformation en style steppique d’un art figuratif monumental, celui des Perses. Ici, à Persépolis, un héros royal lutte contre un monstrueux lion cornu, ailé, à crête, collerette et queue de scorpion. Là, en Sibérie, cette chimère orne un bijou en or, un torque cloisonné au serti très fin.

Puis nous retrouvons cet être sur des pièces de croupières et sur un élégant frontal en bois doré, découverts dans des kourganes gelés de l’Altaï. Il est alors transposé, littéralement traduit, dans le langage figuratif  très schématisé des formes du style steppique, à savoir simultanément de face et de profil, ainsi qu’en représentation dédoublée, et de plus tête-bêche.

Mutatis mutandis, ce processus de transformation, selon des conventions établies, préfigure étrangement les vues de face et profil et les progressives schématisations de Picasso.

Au terme de ce parcours et à l’aide de ces trois exemples, peut-on faire le point sans de longs détours dans les théories et les philosophies de l’art ?

Si l’on cherche la stricte rigueur d’un déchiffrement de langue ou de code, l’affaire est désespérée. En effet, l’on ne connaît, techniquement parlant, pas de clef(s), ni de passe-partout pour déchiffrer ces arts. Les systèmes interprétatifs proposés, même amples et ingénieux, sont partiels et ne peuvent être validés, faute de textes, ou de locuteurs vivants. Les écrits d’Alhazen, combinés au concept de « forme symbolique », rendent-ils mieux compte de l’art non-figuratif islamique que la décoration ou l’abstraction ? Les textes indiens, bouddhiques, viśnouites, ou théoriques, expliqueraient-ils pourquoi tel style, hellénisant ou autre, fut préféré, appliqué et s’imposa ? Quant à l’art des steppes, si facile à reconnaître mais tellement difficile à définir, une belle analyse rhétorique, et un rare exemple de traduction, permettent de mieux le saisir, mais dans des limites qui n’expliquent pas les choix de son style. En voici encore un exemple dont le sens reste énigmatique et qui pourrait être l’objet de bien des contorsions interprétatives.

Si maintenant l’on admet l’usage métaphorique du terme « déchiffrement », ce qui est couramment admis, l’on tente alors de lire ces arts à l’aide des foisonnantes bibliothèques des religions, philosophies, mythologies, de la sociologie et de l’ethnologie, élargissant les raisonnements jusqu’à l’herméneutique, la pensée symbolique, ou la pensée indicielle. Il s’agit alors de construire un texte qui esquive les chausse-trapes d’un placage langagier décoratif.

 

Gombrich a critiqué les approches totalisantes, comme celle du Panofsky d’Architecture gothique et scolastique, car « il n’existe pas de Zeitgeist, la totalité dans laquelle tout se tient à une époque quelque-part ». Meyer Schapiro dans Les mots et les images, et Hubert Damisch dans « la peinture prise au mot », ont souligné que le vrai problème est celui de « comment s’effectue la transposition d’une énonciation verbale en une représentation iconique ». Sur cette ligne, notre confrère Roland Recht écrit, à propos du logocentrisme de Panofsky : « A partir du moment où il considère toute œuvre d’art comme un discours et un discours qui ne serait là que comme texte à déchiffrer pour l’historien, toute la « cuisine » de l’œuvre d’art lui devient relativement mystérieuse et, à la limite, il la juge dépourvue d’intérêt. » L’on ne saurait mieux dire.

En conséquence, nous est-il possible de vraiment déchiffrer les arts de cultures éloignées et sans écriture ? Les systèmes d’analyse, les clefs de lecture, peuvent-ils être universels, s’approcher d’une science ? Et donc la vieille idée de nature humaine a-t-elle encore une utilité ? Les concepts universels, ne pouvant être une simple « somme de qualificatifs », tout passe par des sélections, puis des généralisations. Mais celles-ci ne sont-elles pas entachées d’incomplétude, avançant parfois des exposés sur l’indicible et l’invisible, entre immanence et transcendance ?

Pourtant, malgré ces interrogations, les œuvres demeurent, tout comme perdurent, loin d’être futiles, le plaisir de leur contemplation et les charmes de l’imagination.

Les incompréhensions et les prestiges d’un Orient découvert et rêvé caractérisent le « déchiffrement » des arts anciens de l’Asie centrale, distanciés de la tradition classique, à l’écart de l’Orient méditerranéen, et à la périphérie des arts de lettrés des civilisations asiatiques. L’on songe alors au narrateur qui s’imaginait découvrir à Balbec, « dans le brouillard du pays des Cimmériens », « une église presque persane », mais que le peintre Elstir ramène à la réalité, en attirant son regard vers l’unique chapiteau qui « reproduit si exactement un sujet persan que la persistance des traditions orientales ne suffit pas à l’expliquer. Le sculpteur a dû copier quelque