Fouilles archéologiques Mission archéologique Caucase (Arménie)

 

 

 

Présentation

 

La Mission Archéologique Caucase (M.A.C.) du MEAE fondée en 1997 par Christine Chataigner (CNRS, Archéorient), œuvre depuis sa création à la restitution des cultures préhistoriques du Petit Caucase, avec notamment la fouille du site Mésolithique de Kmlo, des gisements Néolithiques d’Aratashen et d’Aknashen, des sites Chalcolithiques de Getahovit et de Godedzor. Ces recherches ont toujours été menées en étroite collaboration avec l’institut d’Archéologie et d’Ethnographie de l’Académie des Sciences d’Arménie.  

 

En 2016, la reprise de la mission par Bérengère Perello (CNRS, Archéorient) marque un recentrage des activités sur la période du Bronze Ancien, marquée dans le Sud-Caucase par la culture Kuro-Araxe (3600/3500-2500 av. n. è.). Cette nouvelle orientation conserve cependant l’approche multi-sites et interdisciplinaire qui ont toujours été au cœur du fonctionnement de la Mission Archéologique Caucase.  

 

Le terme « culture Kuro-Araxe » fait référence à un phénomène qui a pris naissance au milieu du 4e millénaire, entre les fleuves Kura (Géorgie, Azerbaïdjan) et Araxe (Arménie, Nakhitchevan). À la fin du 4e millénaire, elle s’est répandue bien au-delà de cette région caucasienne vers l’Anatolie orientale, le nord-ouest de l’Iran et le sud du Levant, devenant l’une des cultures les plus répandues du Proche-Orient.  

 

L’étude de la culture Kuro-Araxe en Arménie a une longue histoire, qui remonte aux fouilles de E.Bayburtyan sur le site de Shengavit en 1936-1938. Actuellement, 220 sites de la culture Kuro-Araxe sont connus sur le territoire de la République d’Arménie, mais rares sont ceux qui ont l’objet de fouilles extensives (Gegharot, Karnut, Shengavit).  

 

Les récentes recherches ont mis en lumière deux grandes phases d’occupation : 

• la première, appelée KA I, se caractérise par une homogénéité des assemblages céramiques à travers le territoire arménien (3600/3500 et 2900 av. n. è.) ;  

• la seconde, dite KA II (2900 et 3500 av. n. è.), est marquée par une fragmentation des assemblages céramiques et l’émergence d’un phénomène de régionalisation. Au moins trois complexes synchrones peuvent être distingués : « Shresh-Mokhrablur » dans la partie centrale de la plaine de l’Ararat, « Karnut-Shengavit » au nord et à l’est de l’Arménie, « Ayrum-Teghut » dans les bassins des rivières Aghstev et Debed dans le nord-est (Badalyan 2014). 

 

Enjeux de la mission : pour une approche comparative de trois sites Kuro-Araxes arméniens.  

Durant le dernier quadriennal (2020-2023), nos recherches se sont focalisées sur trois sites Kuro-Araxes contemporains appartenant à la phase KAII. Ces établissements sont localisés dans deux régions écologiques distinctes et appartiennent à des complexes culturels différents :  

• le site de Voskeblur, dans la plaine de l’Ararat, a livré du matériel « Shresh-Mokrablur »,  

• les sites d’Haghartsin et d’Ayrum 1, dans la région du Tavush, sont caractérisés par des assemblages « Ayrum-Teghut ».  

 

Cette approche multi-sites nous offre l’opportunité de mener une analyse comparative approfondie. Deux objectifs majeurs structurent notre recherche :  

• procéder à des dégagements extensifs afin d’obtenir des données sur l’organisation de l’habitat, mais également sur l’économie et le fonctionnement de ces communautés. 

• participer à la définition des faciès culturels régionaux du KA arménien, définis jusqu’à présent en se fondant essentiellement sur la céramique.  

 

 

Ces projets arméno-français visent à caractériser grâce à des fouilles extensives et reposant sur une équipe interdisciplinaire, l’organisation de l’habitat, l’architecture (analyse technique et fonctionnelle), les formes céramiques et le répertoire décoratif, les moyens de subsistance, l’exploitation des ressources, etc 

 

Sur le long terme, notre recherche vise à éclaircir les deux phases de transitions qui caractérisent cette période : le passage du KA I au II (vers 2900 av. n. è.) d’une part, et la dislocation de la culture Kuro-Araxe (vers 2600/2500 av. n. è.), d’autre part. Notre objectif est d’analyser les causes profondes de ces discontinuités : raisons environnementales (aridification), mouvements de populations, etc.

 

 

L’établissement de Voskeblur dans la plaine de l’Ararat  

La fouille arméno-française est co-dirigée par Ruben Badalyan (NASRA) et Bérengère Perello (CNRS). Voskeblur (qui signifie « colline dorée ») est situé dans la plaine de l’Ararat, non loin de la rive droite de la rivière Hrazdan (affluent de l’Araxe), à la lisière méridionale du village moderne d’Hayanist, à 22 km au Sud-ouest d’Erevan. Il s’agit d’une colline anthropique (blur en arménien) de 2,6 hectares et d’une hauteur relative de 2,5 m au-dessus de la plaine.  

 

Voskeblur avait déjà fait l’objet de fouille entre 1975-1976 par E.V. Khanzadyan, mais les résultats n’ont jamais été publié. Nous avons redécouvert ce site lors de prospection en 2019, et initié une nouvelle fouille à partir de 2020. 

 

Durant ces quatre campagnes, 6 tranchées de 10 m sur 10 m et deux sondages (A et B) ont été ouverts. Les résultats, extrêmement encourageants, ont permis de confirmer l’importance des niveaux du Bronze ancien, en particulier entre 2900-2600/2500 av. n. è., le rattachement à la culture de type « Shresh-Mokhrablur », et la présence d’une architecture en brique crue extrêmement bien conservée.  

 

La colline de Voskeblur représente actuellement l’un des sites les plus vastes et les mieux préservés de la culture Kuro-Araxe en Arménie. Grâce à des fouilles systématiques à grande échelle et à une approche interdisciplinaire, cet établissement est destiné à devenir un élément central pour l’étude de cette période dans la plaine de l’Ararat.

 

 

 

Les sites d’Haghartsin et d’Ayrum 1, dans la région du Tavush 

Située au nord-est de l’Arménie, au cœur du Petit Caucase, la région du Tavush est frontalière au nord de la Géorgie et à l’est de l’Azerbaïdjan. C’est une voie de passage entre le bassin de la Kura et les hautes terres du Petit Caucase. Elle reste largement sous-explorée en raison d’un couvert forestier très dense et de zones d’altitude qui rendent difficile la détection des sites archéologiques. Or, cette zone à la croisée des trois républiques du Petit Caucase, est un secteur clé pour la compréhension du processus de diffusion de la culture Kuro-Araxe.  

 

Nous y avons lancé depuis 2017 un programme, le « Tavush Archaeological Project » dans le cadre d’une collaboration avec l’Établissement Public Interdépartemental Yvelines/Hauts-de-Seine (Benjamin Van Den Bossche). Ce programme arméno-français repose sur une co-direction avec Levon Aghikyan de l’Institut d’Archéologie et d’Ethnographie de l’Académie des Sciences d’Arménie. 

 

Plusieurs campagnes de prospections (2018-2019, 2022) nous ont permis de dresser une carte archéologique de la région et en particulier d’identifier plusieurs sites du Bronze ancien inconnus jusqu’alors.  

 

Le site d’Haghartsin a été découvert par notre équipe lors des prospections pédestres effectuées en 2019 dans la région du Tavush (nord-est de l’Arménie). Ce site, qui se présente sous la forme d’un vaste promontoire à 1350 m d’altitude. Le matériel de surface collecté lors des prospections appartenait essentiellement au Bronze ancien. Les fouilles effectuées sur le site entre 2019 et 2022 ont confirmé l’occupation Kuro-Araxe et l’appartenance au faciès « Ayrum-Teghut », faciès qui reste très mal défini en raison du petit nombre de sites appartenant à cet horizon dans la région.  

 

 

Le site d’Ayrum était déjà connu par des prospections antérieures, notamment pour des vestiges paléolithiques, mais n’avait jamais fait l’objet de fouilles. Nous l’avons « redécouvert » lors de prospections menées en 2022 durant lesquelles nous avions trouvé une quantité notable de tessons du Bronze ancien. Le matériel Kuro-Araxe collecté en surface, l’étendue inhabituelle pour un habitat du Bronze ancien ainsi que la position topographique privilégiée de ce site ont motivé le lancement d’une première fouille exploratoire en 2023. Le site d’Ayrum 1 est localisé à l’extrême nord-ouest de la région du Tavush, sur la rive droite de la Debed (un affluent de la Kura), près de la frontière avec la Géorgie.

 

Il est installé sur un vaste promontoire couvrant une superficie de 9 ha, à 555 m d’altitude. La première campagne de fouille à l’automne 2023 a confirmé une occupation du Bronze ancien et en particulier de la période Kuro-Araxe II, période à laquelle renvoie la quasi-totalité des tessons découverts. Pour l’instant, aucune architecture n’a été mise au jour, mais plusieurs structures en creux attestent d’une occupation. Certains contextes relativement bien conservés ont livré des vestiges en place, susceptibles de faire l’objet de datations radiocarbones et d’analyses paléo-environnementales (archéozoologie, archéo-botanique). Cette première campagne de fouille a permis de mettre en évidence l’intérêt archéologique de ce site Kuro-Araxe, tout en soulevant de nombreuses interrogations notamment sur son organisation interne et son statut. La poursuite des fouilles à Ayrum 1 nous permettra de compléter la vision de ce site encore très fragmentaire. 

 

 

 

 

Bérengère Perello

 

Archéologue, spécialiste de l’Âge du Bronze, du Caucase et de l’Anatolie. Chargée de recherche au CNRS (UMR 5133, Archéorient, Lyon) et directrice de la Mission Archéologique Caucase

 

Page personnelle : https://www.archeorient.mom.fr

 

Adresse mail : berengere.perello@cnrs.fr

Choix d’articles :

 

  • R. Badalyan, C. Chataigner et A. Harutyunyan éd., The Neolithic Settlement of Aknashen (Ararat Valley, Armenia): Excavation Seasons 2004-2015, Archaeopress archaeology. Oxford, Archaeopress.
  • R. Badalyan et B. Perello éd., The end of the Kura-Araxes phenomenon and the EB/MB transition in the South Caucasus: the chrono-cultural aspect, Araxes, Brepols, Turnhout, sous presse.
  • O. Barge, B. Perello, E. Regagnon, C. Nous,« The desert kites and agglomerated cells of Mount Aragats: spatial coincidence? », in B. Perello, R. Badalyan et K. Meliksetian éd., Ancient Armenia on the Crossroads: Natural Hazards and Adaptation Strategies in Armenia, from 10,000 BC onwards, Quaternary International, special Issue n° 579, 2021, p. 29-41 (DOI : 10.1016/j.quaint.2020.05.020).
  • C. Chataigner, B. Gratuze, N. Tardy, F. Abbes, J. Chahoud, R. Hovsepyan, I. Kalantaryan, B. Perello. « Diachronic variability in obsidian procurement patterns and the role of the cave-sheepfold of Getahovit-2 (NE Armenia) during the Chalcolithic period », Quaternary International, special Issue n° 550, 2020, p. 1-19 (DOI : 10.1016/j.quaint.2020.02.010). 
  • A. Cromartie, C. Blanchet, C. Barhoumi, E. Messager, O. Peyron, V. Ollivier, P. Sabatier, D. Etienne, A. Karakhanyan, L.Khachadourian, A.T Smith, R. Badalyan, B. Perello, I. Lindsay, S. Joannin,« The Vegetation, climate, and fire history of a mountain steppe: A Holocene reconstruction from the South Caucasus, Shenkani, Armenia », Quaternary Science Reviews 246, 2020 (DOI : 10.1016/j.quascirev.2020.106485).  
  • S.  Joannin, A. Capit, V. Ollivier, O. Bellier, B. Brossier, B. Mourier, P. Tozalakian, C. Colombie, M. Yevadian, A. Karakhanyan, B. Gasparyan, A. Malinsky-Buller, Ch. Chataigner, B. Perello,« First Pollen Record from the Late Holocene Forest Environment in the Lesser Caucasus », Review of Palaeobotany and Palynology (June):104713, 2022 (DOI:10.1016/j.revpalbo.2022.104713). 
  • B.  Perello, R. Badalyan et K. Meliksetian éd.,« Ancient Armenia at the Crossroads: Natural Hazards and Adaptation Strategies in Armenia, from 10,000 BC onwards », Quaternary International 579, Special Issue. 2021 (DOI: 10.1016/j.quaint.2021.02.034).
  • B.  Perello, Ch. Chataigner, I. Kalantaryan, K. Azatyan, R. Hovsepyan, O. Barge, A. CreuzieuxA Middle and Late Bronze Age settlement in Armenia: the Aggregated Cells of Arteni », in Y. Grekyan et A. Bobokhyan éd., Systemizing the past: Studies in Caucasian and Near Eastern Archaeology in Honor of Pavel Avetisyan, 2023. 
  • B.  Perello, L. Aghikyan, K. Azatyan, R. Badalyan, B. Van Den Bossche,« Preliminary results of the 2018-2019 Tavush Archaeological Project (TAP) », in P.  Avetisyan, A. Bobokhyan, Archaeology of Armenia in Regional Context, Yerevan, 2021, p. 154-168. 
  • B.  Perello,« La mission archéologique « Caucase »: œuvrer à une meilleure connaissance de la Préhistoire de l’Arménie et de la région », La Lettre diplomatique 118, 2017. 
  • Ead.,« Ancient Armenia at the Crossroads : colloque de clôture du LIA NHASA », Archéorient - Le Blog, 2018, [En ligne] https://archeorient.hypotheses.org/10958. 
  • Ead.,« Premiers résultats du Tavush Archaeological Project  », ArchéOrient – Le Blog, 2020, [En ligne] https://archeorient.hypotheses.org/14861. 
  • Ead.,« Regards croisés sur deux sites Kura-Araxe arméniens  », ArchéOrient – Le Blog, 2022, [En ligne] https://archeorient.hypotheses.org/17440. 
  • Ead.,« Archéorient et le Sud-Caucase  », ArchéOrient – Le Blog, 2023, [En ligne] https://archeorient.hypotheses.org/23943 
  • Ead.,« HOMELAND : recherche interdisciplinaire sur les communautés Kuro-Araxes en Arménie », ArchéOrient – Le Blog, 2024, [En ligne] https://archeorient.hypotheses.org/27368. 

Légendes des figures : 

 

  • Figure 1 : Carte de localisation des sites étudiés (B. Perello) ; 
  • Figure 2 : Voskeblur – vue au drone du site, campagne 2022 (A. Mkrtchyan, M.A.C. / T.A.P.) ; 
  • Figure 3 : Vue de Voskeblur, plaine de l’Ararat, Arménie (B Perello, M.A.C.)
  • Figure 4 : Tavush, vue des collines boisées dans la zone de Dilidjan (B. Perello) ; 
  • Figure 5 : Vue d’Haghartsin, région de Tavush, Arménie (V. Cicolani, M.A.C./T.A.P.) ;
  • Figure 6 : Ayrum 1 – Relevé photogrammétrique au drone (A. Mkrtchyan, M.A.C. / T.A.P.)
  • Figure 7 : Vue d’Ayrum 1 depuis le sud-ouest (A. Danielyan, M.A.C./T.A.P.).