Fouilles archéologiques Mission archéologique d’Albalat (Espagne)
Le projet Albalat est né à la suite d’un diagnostic archéologique en 2009, sur l’établissement homonyme situé dans l’actuelle région autonome d’Estrémadure (province de Cáceres, Espagne). Ce petit bourg fortifié doit son importance à sa position stratégique à proximité d’un gué permettant de franchir le Tage (fig. 1). Cette zone de passage, reliant d’importants foyers économiques et démographiques d’al-Andalus (vallée du Guadiana et vallée centrale du Tage), acquit un caractère frontalier très marqué avant la fin du XIe siècle, entraînant une instabilité territoriale relativement bien documentée par les sources textuelles. Perdu une première fois par les musulmans, Albalat fut repris dans les premières décennies de 1100, avant d’être détruit vers 1142 par les milices urbaines de Salamanque et Avila, ce qui sonna ainsi le glas de son occupation.
Le programme de fouilles systématiques qui a été lancé fonctionne comme un chantier-école international adossé à une équipe de spécialistes venus d’horizons différents. Il est rendu possible grâce au soutien, au fil des ans, d’institutions publiques et privées, espagnoles, françaises et suisse. Un premier quadriennal a été accordé par la commission consultative des fouilles du MEAE entre 2018 et 2021.
Hormis la fouille d’un ḥammām (bain) situé en contrebas de la muraille, tous les travaux se sont concentrés intra-muros, dans ce qui est devenue une grande aire ouverte d’environ 2500 m2 en raison de la qualité et de l’originalité des données récoltées (fig. 2).
La stratigraphie a révélé un processus rapide d’abandon qui a favorisé la conservation d’une trame urbanistique complexe (par la densité des constructions, la structuration de la voirie ou la superposition des phases d’occupation), dans laquelle de grandes demeures (fig. 3) côtoient des ensembles dédiés à la production artisanale et alimentaire (métallurgie, tabletterie, four commun). L’abondant mobilier piégé dans les niveaux d’incendie ou abandonné sur place à la suite de pillages (céramiques, restes organiques, fauniques, lithiques, métalliques, etc.), contribue à préciser l’image d’une communauté islamisée et militarisée en pleine époque almoravide (fig. 4).
L’analyse de ces artefacts, pour certains produits sur place (par exemple des noix d’arbalète) et pour d’autres importés à la faveur d’échanges commerciaux, nécessite un travail de longue haleine pour aborder les activités, le genre ou le statut des occupants à la fin de la première moitié du XIIe siècle. Les enjeux sont d’autant plus importants que le registre matériel de cette période était jusqu’à présent bien moins connu que celui des époques qui la précèdent et la suivent. Il offre, en outre, d’intéressants témoignages sur des pratiques particulières, parmi lesquelles on peut mentionner la place relativement importante des graffiti (fig. 5) et de l’écriture sur divers supports (céramiques avant cuisson, dalles), des jeux (dont les échecs) ou encore la diffusion de certaines techniques décoratives (coffrets au décor géométrique de plaquettes d’os polies) qui constituent un chaînon manquant dans l’art d’al-Andalus. Cette approche extensive est complétée par des sondages stratigraphiques pour récolter des informations sur les étapes antérieures à la dernière phase d’occupation.
L’amplitude des dossiers ouverts au gré des découvertes a amené à élargir le thème principal – la guerre de frontière – et à engager des réflexions sur les aspects socio-économiques et environnementaux. De nombreux questionnements dépassent toutefois le cadre de cette micro-histoire pour rejoindre des problématiques plus vastes, qui s’intéressent à la circulation des biens ou au traitement des matières premières.
Le site a été déclaré en 2014 Bien de Interés Cultural à la lumière des premiers résultats. Depuis lors, des actions de conservation-restauration ont été engagées en collaboration avec les Écoles Supérieures de Conservación y Restauración de Bienes Culturales de Madrid et Pontevedra afin de jeter les bases d’une future mise en valeur des vestiges et des biens mobiliers.
Sophie Gilotte
chargée de recherche au CNRS (UMR 5648, Ciham) – sgilotte@gmail.com
Légendes des figures :
- Fig. 1. Vue de l’aire emmuraillée à l’intérieur de laquelle les fouilles ont mis au jour un tissu urbain abandonné au milieu du XIIe siècle (Projet/Proyecto Albalat, 2021).
- Fig. 2. Montage de différentes orthophotographies des vestiges découverts (Miguel Á. García Pérez, Projet/Proyecto Albalat, 2021).
- Fig. 3. Reconstitution 3D d’une des demeures du secteur sud (Juan Diego Carmona Barrero, Projet/Proyecto Albalat, 2017).
- Fig. 4. Petite cache monétaire composée de huit dinars almoravides, frappés entre 494-512/1110-1119 (Projet/Proyecto Albalat, 2012).
- Fig. 5. Dalle d’un patio couverte de graffiti incisés (Léa Buttard, Projet/Proyecto Albalat, 2021).
- Fig. 6. Séances de travail (flottation, nettoyage du mobilier céramique) et de divulgation lors d’une journée portes ouvertes (scénettes in situ). (Projet/Proyecto Albalat, 2014, 2015 et 2018).
Liens complémentaires :
https://ciham.msh-lse.fr/operation-…
https://www.arpamed.fr/de-lombre-a-…
https://www.casadevelazquez.org/es/…
https://archeologie.culture.fr/fr/a…
Pour en savoir plus :
Catalogue d’exposition
S. Gilotte, Y. Caceres Gutierrez Éds., Al-Balāṭ. Vida y guerra en la frontera de al-Andalus, catalogue d’exposition, Cáceres, Diputación de Cáceres-Junta de Extremadura, 2017.
Choix d’articles :
• J. A. Garrido Garcia, S. Gilotte, « Albalat : posibilidades y limitaciones de los análisis faunísticos para la caracterización de los últimos momentos de un asentamiento fronterizo andalusí », in M. Brisville, A. Renaud, N. Rovira, (dir.), L’alimentation en Méditerranée occidentale aux époques Antique et médiévale. Archéologie, bioarchéologie et histoire, BiAMA 29, Aix-en-Provence, 2021, p. 111-134.
• S. Gilotte, P. De Keukelaere, J. A. Garrido Garcia, « Un taller de materia ósea en la frontera de al-Andalus », Actas del VI Congreso de Arqueología Medieval (España-Portugal), Ciudad Real, 2021, p. 373-380.
• J. Ros, J. A. Garrido Garcia, M. Ruiz Alonso, S. Gilotte, « Bioarchaeological results from the House 1 at Albalat (Romangordo, Extremadura, Spain) : Agriculture, Livestock and Environment at the Margin of al-Andalus », Journal of Islamic Archaeology, Special issue. (5-1) Agropastoral Landscapes of the Islamic World : Producing, Trading and Feeding, 2018, p. 71-102.
• Y. Caceres Gutierrez, C. Capelli, N. Garnier, S. Gilotte, J. De Juan Ares, C. Richarte, « Les ḫâbiyat-s (jarres) d’Albalat (1ère m. XIIe siècle, Estrémadure). Vers une approche pluridisciplinaire », Actes du 1er Congrès International Thématique de l’AIECM3, Jarres et grands contenants entre Moyen Âge et Époque Moderne, Montpellier-Lattes, 2016, p. 311-317.
• S. Gilotte, Y. Caceres Gutierrez, J. De Juan Ares., « Un ajuar de época almorávide procedente de Albalat (Cáceres, Extremadura) », X CICM2, Actas do Congresso Internacional A cerâmica medieval no Mediterrâneo, Silves, 2015, p. 763-775.