Fouilles archéologiques Mission Redes Andinas (Bolivie)

Redes andinas (les réseaux andins) est un projet de recherche d’archéologie du territoire, lancé en 2018 et soutenu par un cofinancement du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du MSCA800617 de l’Union Européenne. Il s’intéresse à l’évolution du système de peuplement et de mobilité au sein du transect andin du 18°S (Chili et Bolivie), depuis l’époque préhispanique tardive jusqu’au passé récent. Plus spécifiquement, il cherche à caractériser la diachronie des systèmes de mobilité et de peuplement dans un espace frontalier de haute montagne, sur le temps long, au prisme de trois conjonctures historiques :

 

– l’impérialisme inca durant les XV-XVIe siècles durant lequel est attesté l’existence de formations territoriales archipélagiques, étendues entre le Pacifique et l’Altiplano,

 

– la période coloniale espagnole (XVI-XVIIIe s.), caractérisée par le fonctionnement de la plus grande route commerciale du Nouveau monde, celle de l’Argent de Potosi, et

 

– celle du développement des actuels Etat-nations depuis début XIXe siècle, impliquant le déploiement du modèle territorial moderne caractérisée par l’établissement d’une frontière internationale.

 

 

En combinant l’analyse de cartographie historique, d’imagerie aérienne et d’opérations de prospection et de fouilles sur le terrain, le projet cherche à documenter le processus de transformation des infrastructures viaires en fonction de ces trois conjonctures historiques. Ainsi, il fait l’examen, dans le temps long, du processus de résilience et de transformation des structures spatiales, entre trois systèmes de mobilité, en fonction d’épisodes de planification top/down de réseaux viaires et de partitions socioterritoriales (p.ex., route commerciales, frontières), confrontée aux dynamiques bottom/up correspondant à l’agentivité des communautés locales (les pasteurs notamment) dans la structuration de ces systèmes de mobilité et de peuplement. La recherche menée dans le cadre de Redes andinas possède quatre enjeux de fond :

 

– le développement de la notion de palimpseste viaire pour désigner et expliquer la dynamique d’accumulation des structures (voies) et infrastructures (p.ex., stations viaires, cairns) de mobilité à travers le temps,

 

– l’intégration de l’analyse des systèmes de mobilité à celle des systèmes de peuplement, pour l’étude de la diachronie des formations territoriales,

 

– le montage d’un réseau de recherche pour réunir les acteurs des sciences du territoire dans les pays andins, suivant l’élaboration (en cours) et la diffusion d’une infrastructure websig pour l’archivage collaboratif et l’échange de données scientifiques ouvertes (cartographie historique, données sur le peuplement actuel et anciens et les palimpsestes viaires, ainsi que données biogéographiques et paléoclimatiques), visant au développement de l’archéogéographie du territoire dans les pays andins (où il n’existait jusqu’à présent aucune infrastructure de la sorte), et

 

– la recherche-action sur l’ethnographie des pratiques de mobilité et de la frontière, destinée à la fabrique d’images alternatives, dans le champ du patrimoine, au dispositif frontalier international dur et problématique actuellement en place.

 

Pour ce faire, sont menées trois types d’opérations de terrain complémentaires : la prospection des infrastructures viaires (voies et sites associés), la fouille de tambos (stations viaires) et l’enquête ethnographique multisituée.

 

Les analyses de laboratoire de la mission Redes Andinas exploitent principalement la géomatique et la céramologie. En ce qui concerne la géomatique, la mission est renforcée par l’Action Marie Skłodowska-Curie RoadNet_Andes « Road networks and territorial dynamics : a geospatial approach to Andean cultural heritage in motion between the Altiplano and the Pacific coast » (également dirigée par Thibault Saintenoy et portée par l’Instituto de Ciencias del Patrimonio du CSIC). RoadNet_Andes constitue de fait un cofinancement majeur pour la prise en charge des analyses spatiales. Pour ce qui est de la céramologie, qui constitue le second champ d’analyse de la recherche (en qualité́ non-seulement d’indicateur chrono-culturel, mais également d’interactions macrorégionales), se poursuit l’approche archéométrique développée depuis 2014.

 

A ce jour, deux milles kilomètres de voies ont été enregistrées, le long d’axes de circulation définis entre les principaux cols de montagne, à partir de l’analyse de différentes sources d’imagerie aérienne et de cartographie historique. Près de cinq cents sites associés ont été inventoriés de la sorte (dont nombreux cairns et refuges, directement liés aux systèmes de mobilité), une centaine d’entre eux ont fait l’objet d’une inspection de terrain, afin d’opérer un diagnostic chrono-fonctionnel à partir du matériel de surface qui se trouve généralement en abondance.

Les sites préhispaniques recensés correspondent à des habitats, des montagnes fortifiées (pucara) et à des ensembles de mausolées, liés à l’archipel Carangas qui constituait une vaste formation territoriale multisituée entre l’Altiplano et le Pacifique (XVXVIs.). Quant aux tambos (caravansérails) de la Route de l’Argent de Potosi, tous ceux identifiés par les chroniques coloniales ont pu être identifiés et décrits sur le terrain. Aussi, nous savons désormais que ces tambos différaient considérablement en termes de taille et d’infrastructures. Des fouilles sont en cours afin de documenter le type d’activités qui y étaient réalisées, ainsi que pour préciser l’ancienneté et la durée de leur utilisation. Il ressort, des premiers résultats, que l’ensemble des tambos de l’époque coloniale ont été implantés sur des sites préalablement utilisés durant l’époque impériale inca. Au sujet de leur abandon, il apparaît que la plupart des tambos ont cessé de fonctionner avec la fin de l’exploitation coloniale de la route Arica-Potosi à la fin du XVIIIe siècle. Cela étant, certains d’entre eux, à l’instar du grand site de Changamoqo fouillé en 2019, semblent avoir tiré parti de leur nodalité résiliente au sein des nouveaux réseaux de circulation, s’étant ainsi transformés en véritable place de marché dans le contexte de l’industrialisation du XIXe siècle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Thibaut Saintenoy

chercheur associé à l’UMR 8096 Archéologie des Amériques [tsaintenoy@gmail.com>tsaintenoy@gmail.com]

Légende des illustrations

Figure 1. Carte du bassin du Lauca, aujourd’hui espace transfrontalier entre le Chili et la
Bolivie.
Figure 2. Apacheta (cairn) d’origine préhispanique au passage d’un col de haute montagne.
Figure 3. Affleurement rocheux érodé par le passage réitéré des mules chargées de l’Argent
de Potosi.
Figure 4. Site d’habitat villageois de l’époque préhispanique.
Figure 5. Mausolées incas.
Figure 6. Infrastructure de fonte, marché, tambo et montagne sacrée de Changamoqo.