Fouilles archéologiques Programme Paléoanthropologique Franco-Iranien-FIPP (Iran)

Archéo-préhistoire en Iran, entre Alborz Central et Plateau Central Iranien

 

Programme Paléoanthropologique Franco-Iranien (FIPP) et son contexte

 

Le FIPP s’intéresse à une vaste région qui couvre l’Alborz Central et le Nord du Plateau Central Iranien et vise à apporter un nouvel éclairage sur la diversité des hommes du Paléolithique et de leur culture en Eurasie méridionale. Jusqu’ici, les travaux menés par les spécialistes iraniens et les équipes internationales démontrent la présence de l’homme depuis le début du Pléistocène supérieur, c’est-à-dire il y a environ 80 000 ans. Les assemblages archéologiques, en particulier lithiques, attestent d’une grande diversité culturelle du Paléolithique moyen au Paléolithique supérieur. Ces cultures sont associées à deux humanités distinctes, les Néandertaliens et les hommes anatomiquement modernes, sans pour autant que l’on soit en mesure de le prouver ; en effet, les vestiges humains sont extrêmement rares, en particulier sur les sites iraniens jusqu’ici fouillés. Outre ces vestiges issus de fouilles, d’autres, collectés lors de ramassage de surface permettent de penser que l’Homme était présent dans cette région bien avant le Pléistocène supérieur. C’est dans ce contexte que nous avons initié nos travaux, dans un premier temps sur deux sites paléolithiques de plein air, Garm Roud (Mazandaran) et Mirak (Semnan), puis ces dernières années dans le site en grotte Qaleh Kurd (Qazvin).

 

Garm Roud (Baliran, Mazandaran)

Garm Roud a été découvert par le FIPP en 2005 en même temps que le site Moghanak (Damavand). Garm Roud est un site en contexte stratigraphique, alors que Moghanak a livré des artefacts classiques du Paléolithique moyen en surface. Les trois campagnes de fouilles menées à Garm Roud ont livré des dizaines de milliers d’artefacts lithiques et des restes de faune représentant une unique phase d’occupation humaine. L’étude pluridisciplinaire qui a suivi indiquent qu’il s’agit d’une courte halte de chasse, installée en bord de rivière il y a environ 33 000 ans alors que le climat était tempéré. Il s’agissait d’un petit groupe d’hommes du Paléolithique supérieur dont la culture est caractérisée par la production de lamelles. Un ouvrage trilingue (français, anglais, persan) : Garm Roud. Une halte de chasse en Iran en propose une synthèse.

 

 

Mirak (Semnan)

Nous avons ensuite élargi notre zone d’étude au Nord du Plateau Central Iranien, dans les piedmonts de l’Alborz, en combinant nos efforts à ceux d’une mission iranienne menée par Hamed Vahdati Nasab (Université Tarbiat Modares). Ce FIPP « élargi » a alors initié la fouille et l’étude pluridisciplinaire de la localité de Mirak (Semnan), localité de plein air mentionnée pour la première fois en 1990 par Rezvani. Mirak se présente sous la forme de plusieurs monticules répartis dans une vaste plaine et situés dans la portion nord du Désert Central Iranien, au sud de l’Alborz ; cette localité était alors attribuée au Paléolithique moyen sur la base des caractéristiques de l’assemblage lithique collecté en surface (pointes moustériennes, …) en périphérie de ces monticules. De par la richesse de l’assemblage en surface, Mirak était alors considérée comme une localité importante pour la connaissance du Paléolithique moyen ; néanmoins, sans contexte stratigraphique et chronologique, ni les éléments qu’apportent une fouille, sa portée restait limitée.

 

Nos fouilles menées de 2015 à 2017 sur l’un des monticules, Mirak 8, ont livré plus de 6000 artéfacts lithiques qui indiquent la présence d’au moins 3 phases successives d’occupation humaine entre environ 55 000 et 21 000 ans. Ces assemblages situés sous la surface du sol actuel, ont été protégés par un dépôt éolien, une paléo-dune, datant de l’Holocène. Les phases d’occupation humaine correspondent à des épisodes climatiques humides pendant le MIS3 ; le site était alors émergé, éventuellement entourée de ruisseaux et de marais, ce qui contraste avec les conditions désertiques actuelles. Le niveau supérieur, représenté par quelques dizaines d’artefacts, présente des affinités Paléolithique supérieur, avec un âge maximum de 28 000 ans. Le niveau inférieur, daté entre 55 et 43 000 ans, est très riche et présente des affinités Paléolithique moyen. Le niveau intermédiaire, très riche également, est daté entre 26 et 33ka et a des caractéristiques mixtes ; il est vu comme un Paléolithique intermédiaire, original dans la région. Ces caractéristiques culturelles permettent de penser que deux humanités (Néandertaliens et Hommes modernes) ont pu s’y succéder entre 47 000 et 28 000 ans, et, comme les autres travaux récents sur le terrain préhistorique iranien (F. Biglari, N. Connard, E. Ghasidian, S. Heydari-Guran, S. Shidrang, M. Zeydi), corroborent l’idée d’une grande diversité culturelle dans cette vaste région.

 

Garm Roud puis Mirak apportaient donc un corpus de données précises et originales quant aux comportements et à la diversité des cultures des hommes du Paléolithique supérieur et du Paléolithique moyen, enrichissaient le cadre chronologique et environnemental de ces occupations humaines, et confortaient l’idée que plusieurs espèces d’hommes s’y sont succédées, espèces qu’il était, en l’absence de restes humains, difficile de préciser.

 

 

Qaleh Kurd (Qaleh, Qazvin)

Qaleh Kurd est un site en grotte situé près du village de Qaleh à l’extrême ouest de la Province de Qazvin, à la limite nord-ouest du Plateau Central Iranien, à mi-chemin des sites du Zagros à l’Ouest et de Mirak et Garm Roud à l’Est. En cela, il revêt un intérêt particulier pour la connaissance de la diversité humaine, biologique et culturelle, au Pléistocène. La cavité s’ouvre à 2137m d’altitude et communique avec un vaste réseau karstique encore actif. Elle était avant tout connue des spéléologues, puis pour son intérêt paléoenvironnemental, et enfin pour son potentiel préhistorique, des artefacts lithiques d’affinités moustériennes ayant été collectés en surface. Le FIPP en a initié la fouille en 2018 et 2019, dans un but à la fois scientifique et de préservation du patrimoine, le site, libre d’accès, ayant été endommagé.

 

Nos premières fouilles et sondages témoignent d’un remplissage sédimentaire d’au moins 3m50 d’épaisseur, et qui se compose de deux séquences. La séquence supérieure (I) est faite d’une succession de cycles de dépôts fins et organiques que les âges radiocarbones obtenus rapportent à l’Holocène (< 1300 BP) ; ils ont livré quelques fragments de céramiques et de restes de grands mammifères, principalement des taxons domestiques. La séquence inférieure (II) se compose d’une succession de dépôts cryoclastiques (issus de la fragmentation des roches locales sous l’effet du gel) et karstiques (issus de la circulation des eaux dans le karst) en nappe, rapportées au Pléistocène.

 

Les deux campagnes de fouille menées jusqu’ici ont livré plusieurs milliers d’objets référencés in situ représentant très majoritairement des restes de grands mammifères, et dans une moindre mesure des artefacts lithiques ainsi que des dents humaines. Il faut ajouter à ce matériel des dizaines de milliers de petits artefacts lithiques, restes osseux et dentaires de grands mammifères et de petites faunes, collectés par tamisage à l’eau. En outre, l’analyse micromorphologique des sédiments met en évidence le rôle majeur des activités anthropiques comme agents de dépôt, avec notamment la présence de très nombreux micro-charbons de bois et de fragments millimétriques d’os brulées.

 

L’assemblage de grands mammifères est largement dominé par les équidés, dont le cheval et l’hydrontin ; néanmoins la liste faunique de 14 taxons révèle une assez grande diversité. Ces vestiges présentent de nombreuses traces d’activités anthropiques (marques de découpe, fragmentation, brulages). Certains fragments ont été utilisés comme retouchoirs (des outils en pierre taillée) ce qui en ferait la première preuve de retouchoirs paléolithiques dans la région. Enfin, les métriques des dents de cheval permettaient de rapporter cet assemblage à la fin du Pléistocène moyen.

 

L’assemblage lithique est également remarquable. Riche et très bien préservé, il présente d’évidentes affinités Paléolithique moyen. Si les assemblages de chacune des 5 unités fouillées semblent représenter des entités techno-culturelles distinctes, les plus deux profonds semblent en totale rupture avec les précédents ; en effet, les produits sont volumineux et de plus grandes dimensions. Par comparaison avec ceux connus au Levant, ces assemblages profonds pourraient remonter au Pléistocène moyen.

 

Vingt dents humaines ont été collectées, neuf pendant la fouille, en contexte stratigraphique, onze autres dans les remblais de fouilles anciennes illégales. Les dents collectées pendant la fouille proviennent de deux secteurs : huit d’un couloir latéral où les dépôts semblent secondaires (issus de charriages de dépôts initialement déposés ailleurs dans la cavité), une issue du secteur de fouille principal. Il s’agit d’une première molaire déciduale supérieure gauche, très usée et dont la racine est totalement résorbée ce qui permet de proposer qu’il s’agît d’une dent tombée naturellement au cours de la vie de l’enfant à un âge équivalent actuel d’environ 11 ans. Les explorations microtomographiques en cours visent à son identification spécifique ; très usée, son attribution est difficile.

 

Les données chronologiques sont encore préliminaires. Néanmoins, les analyses radiocarbones donnent une date à >43500BP à 1m au-dessous du sommet de la séquence II. Les résultats des analyses ESR/U-Th, bien qu’en attente de consolidation par les mesures de dosimétrie in situ, permettent de proposer que l’essentiel de la séquence daterait du Pléistocène moyen. Par ailleurs, la séquence représenterait plus de 300 000 ans d’enregistrement sédimentaire et d’occupation du site par l’Homme.

 

Nos travaux à Qaleh Kurd ne font que commencer. Qaleh Kurd livre une vaste séquence sédimentaire et un assemblage archéologique particulièrement riche dont les caractéristiques et les premiers éléments chronologiques démontrent la présence d’hommes dans le Plateau Central Iranien depuis plusieurs centaines de milliers d’années, donc bien au-delà des périodes jusqu’ici représentées dans les sites de la région. La présence de dents humaines permet d’envisager que nous puissions mettre un nom d’espèce sur ces hommes, dont nous connaissons les cultures, les comportements, mais rien encore de leur biologie.

 

 

Gilles Berillon, directeur de recherche au CNRS, UMR7194 CNRS-MNHN-UPVD, Musée de l’Homme, Paris – gilles.berillon@mnhn.fr

 

Hamed Vahdati Nasab, professeur à l’Université Tarbiat Modares, Département d’Archéologie, Téhéran

 

Asghar Asgari Khaneghah, Professeur à l’Université de Téhéran, Institut des recherches et des études en Sciences Sociales

Le partenariat

Le Programme Paléoanthropologique Franco-Iranien est organisé dans le cadre d’un programme à long terme de recherche, de formation et d’échange franco-iranien en archéologie préhistorique et en anthropologie biologique*. Il a été initié en 2002 par des chercheurs de l’Université de Téhéran (Pr. Asghar Asgari Khaneghah), du CNRS (Gilles Berillon et Valéry Zeitoun), et se poursuit avec l’Université Tarbiat Modares (Pr. Hamed Vahdati Nasab) depuis 2014. Sur le terrain archéo-préhistorique, l’équipe scientifique est historiquement pluridisciplinaire ; elle se compose d’archéologues, de préhistoriens, d’anthropologues, de géologues, de paléontologues et archéozoologues, de malacologues et de paléobotanistes, iraniens et français et associe de nombreux étudiants-chercheurs dont des doctorants.

 

Plusieurs institutions iraniennes et françaises composent le FIPP. En Iran, il s’agit de l’Université Tarbiat Modares et de l’Université de Téhéran, en étroite collaboration avec le Centre de Recherche Archéologique d’Iran (ICAR) de l’Organisation Iranienne pour l’Héritage Culturel et le Tourisme (ICHTO), et les services régionaux de l’Héritage Culturel iranien (Mazandaran, Semnan puis Qazvin).

 

En France, il s’agit de l’UMR 7194 HNHP CNRS Muséum National d’Histoire Naturelle, de l’UMR 7207 CR2P CNRS-MNHN-Université Paris VI, du Laboratoire de Géographie Physique, UMR 8591 du CNRS, Meudon, de l’Équipe Anthropologie des techniques, des espaces et des territoires au Plio-Pléistocène de l’UMR 7041 CNRS, et de l’UMR 5060 CNRS IRAMAT-CRP2A.

 

Pour en savoir plus :

  • H. Vahdati Nasab et G. Berillon (1ers auteurs), G. Jamet, M. Hashemi, M. Jayez, S. Khaksar, Z. Anvari, G. Guerin, M. Heydari, V. Zeitoun, J. Darvishi Khatooni, A. Asgari Khaneghah,The Paleolithic Open-Air Site of Mirak, Northern Edge of the Iranian Central Desert (Semnan, IRAN). First results of systematic excavations. A window on Middle to Upper Paleolithic transition, CR PalEvol, (sous presse). doi.org/10.1016/j.crpv.2019.02.005
  • G. Berillon, A. Asgari Khanegha, P. Antoine, P. Auguste, J.-J. Bahain, C. Chausse, B. Chevrier, B. Ghaleb, M.-C. Jolly-Saad, S. Klaus, V. Lebreton, N. Limondin-Lozouet, N. Mercier, F. Senegas, H. Vahdati Nasab, C. Vercoutere, V. Zeitoun, Garm Roud. Une halte de chasse en Iran, Paléolithique supérieur / Garm Roud. A Hunting place in Iran, Upper Palaeolithic, Editions IFRI & @rchéo-éditions, Français-Anglais-Persan, 2016, 280 p.

 

* L’Anthropologie biologique étudie l’histoire évolutive de la lignée humaine, en interaction avec son milieu, à toutes échelles d’espace et de temps (CoNRS, 2018, Rapport de conjoncture). Le programme conjoint franco-iranien sous l’impulsion du Pr. Asgari Khaneghah et du Professeur Ali Farazmand a contribué à ce que l’Université de Téhéran ouvre en 2019 le premier Master d’Anthropologie Biologique en Iran.