Manifestations Félix Vallotton. Le feu sous la glace

<em>Félix Vallotton. Le feu sous la glace</em>

Grand Palais, 2 octobre 2013–20 janvier 2014.

La Loge de théâtre, le monsieur et la dame, 1909, détail, Suisse, collection particulière. Mardi 5 novembre 2013, M. Michel Zink, Secrétaire perpétuel de l’Académie, et plusieurs de ses confrères ont été reçus dans les Galeries nationales du Grand Palais pour une visite privée de l’exposition Félix Vallotton. Le feu sous la glace, conduite par Mme Marina Ducrey, conservateur de la Fondation Félix Vallotton à Lausanne et commissaire de l’exposition. Cette vaste rétrospective consacrée à l’artiste d’origine suisse, naturalisé français en 1900, rassemble des pièces et des prêts exceptionnels, dévoilant la singularité et la richesse de son œuvre.

Élève de la célèbre Académie Jullian, le jeune Vallotton rencontre rapidement le succès grâce à ses gravures sur bois et ses dessins de presse – publiés entre autres dans la Revue blanche dont il devient le principal illustrateur en 1894 – avant de se tourner vers la peinture, notamment au sein du groupe des Nabis, s’illustrant dans une diversité de genres étonnante : nu, nature morte, portrait, paysage ou encore peintures allégoriques.

Mme Marina Ducrey a guidé les académiciens à travers les dix sections de cette exposition qui présente l’œuvre de Vallotton de manière inédite, non pas selon un ordre chronologique ni un classement par genre, mais selon des axes thématiques transversaux. A été mise en lumière à cette occasion la polysémie de chaque œuvre en lien avec l’ensemble de la production de cet artiste prolifique. Les premières pièces révèlent le « virtuose de la ligne » qu’est Vallotton : c’est en graphiste qu’il travaille la forme et le volume, la couleur n’étant pour lui qu’un simple adjuvant. Il doit ce talent à la gravure, qui influence considérablement sa technique picturale, une caractéristique soulignée par son premier biographe Julius Meier-Graefe, et qui le conduit vers un plus grand synthétisme du trait. S’il partage avec les Nabis l’écrasement de la perspective, dû aussi à l’influence de l’estampe japonaise, et les jeux de variation de points de vue pour se libérer « de tout respect littéral de la nature, […] sans superstition d’exactitude d’heure ou d’éclairage », selon les mots de l’artiste, il offre une vision intériorisée du paysage, baigné de soleils trompeurs et taché d’ombres artificielles dégageant une impression durable d’étrangeté et de mystère qui se retrouve dans nombre de ses œuvres. Ainsi, on ne sait si flotte dans La Mare (1909, Bâle, Kunstmuseum Basel) un poisson monstrueux ou bien l’ombre d’un chien au-dessus d’un talus.

Les visiteurs ont également pu apprécier les nombreux emprunts et références à des tableaux célèbres de Dürer, d’Ingres, son maître, de Courbet, mais aussi aux peintres hollandais du XVIIe siècle auxquels il doit son goût pour les intérieurs et les pièces en enfilade. Toutefois, il se détache toujours de la citation par l’atmosphère singulière de ses tableaux qui racontent une histoire dont l’intrigue n’est que suggérée, évoquée par un détail ou un objet, éveillant ainsi la curiosité et l’imagination du spectateur comme dans Le haut-de-forme (1887, Le Havre, Collection Senn, musée d’art moderne André-Malraux). C’est aussi la critique impitoyable, souvent relevée d’une ironie cinglante, des mœurs de ses contemporains qui se fait sentir dans ses intérieurs feutrés de la section « refoulement et mensonge » où Vallotton explore le thème des relations homme-femme selon toutes ses facettes. Dans le tableau intitulé La chaste Suzanne (1922, Lausanne, musée cantonal des Beaux-Arts), l’artiste bouleverse entièrement la légende de la jeune femme innocente, surprise au bain par des vieillards, pour en faire une « cocotte » du XXe siècle en train de parlementer avec deux messieurs au crâne dégarni dans une baignoire… de théâtre. Les toiles de cette section sont mises en regard avec la suite gravée des Intimités représentant dix saynètes sur la vie conjugale, une confrontation entre les sexes qui se prolonge avec plus de violence dans la section consacrée aux « mythologies modernes » où l’on a pu admirer de grandes toiles, longtemps mal aimées de la critique, telles que le Persée tuant le dragon (1910, Genève, musées d’Art et d’Histoire de la Ville de Genève) où le mythe est entièrement remodelé pour en extraire une version personnelle et toujours teintée d’un humour auquel fait écho l’esprit du commissariat de l’exposition.

Les membres de l’Académie ont été très sensibles à l’organisation de ce parcours mettant en relief l’évolution de cet artiste inclassable, à la fois radicalement moderne et profondément ancrée dans la tradition artistique et picturale.

Plus d’informations sur le site du Grand Palais : http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/felix-vallotton-le-feu-sous-la-glace

Catalogue de l’exposition : Félix Vallotton. Le feu sous la glace sous la direction de Guy Cogeval, Isabelle Cahn, Marina Ducrey et Katia Poletti, Coédition Réunion des musées nationaux-Grand Palais / musée d’Orsay, 2013.