Séances Séance du 29 mars 2019

– Note d’information de M. Michael McCormick, correspondant étranger de l’Académie : « Du nouveau sur la peste de Justinien : les travaux du Max Planck-Harvard Research Center for Archaeoscience ».

– Communication de M. Claude Rilly, sous le patronage de M. Nicolas GRIMAL : « Où en est le déchiffrement du méroïtique, langue ancienne du Soudan ? ».

Résumé : Le méroïtique était la langue dominante des royaumes successifs du Soudan antique. Ce n’est toutefois que durant le dernier d’entre eux, le Royaume de Méroé (270 av. J.-C. – 330 ap. J.-C.) qu’il a été écrit. Ses deux écritures, hiéroglyphique et cursive, ont été déchiffrées en 1911 par F. Ll. Griffith. Or le méroïtique appartient à une catégorie assez répandue de langues anciennes qui sont rédigées dans une écriture connue mais sont mal ou incomplètement comprises, tel que l’étrusque, le gaulois, l’élamite et bien d’autres. Comme aucun texte bilingue d’ampleur n’a été mis au jour et qu’aucun apparentement avec une langue connue n’était scientifiquement prouvé, les progrès dans la traduction des textes méroïtique ont été plutôt lents en un siècle de recherche. Des érudits tels que Griffith lui-même et ses successeurs, Macadam (1909-1997), Hintze (1915-1993), Millet (1934-2004) et Hofmann (1934 -2016) ont donc recouru à des méthodes internes de déchiffrement avec des résultats mitigés. En 2010, j’ai publié un ouvrage permettant sur des preuves solides d’inclure le méroïtique dans une sous-famille des langues nilo-sahariennes, le soudanique oriental nord (SON). Elle comprend quatre groupes de langues vivantes parlées du Tchad à l’Érythrée, dont le nubien, une famille de langues qui a remplacé le méroïtique dans la vallée du Nil moyen après la chute de Méroé. Cette découverte récente a relancé l’étude de la langue méroïtique. La comparaison linguistique avec des langues apparentées et avec la protolangue reconstruite (Proto-SON) n’est malheureusement pas la solution miraculeuse pour déchiffrer complètement le méroïtique (les langues apparentées ne sont en fait pas si proches), mais elle s’avère un outil puissant lorsqu’elle s’ajoute aux méthodes internes. Aujourd’hui, certaines catégories de textes comme les inscriptions funéraires peuvent être traduites entièrement ou presque, alors que les inscriptions historiques et administratives demeurent en grande partie obscure, mais cette obscurité perd progressivement du terrain.

Abstract : Meroitic was the main language of the successive kingdoms of ancient Sudan. It was however written only during the last of them, the Kingdom of Meroe (270 BC-ad 330). Its two scripts (hieroglyphic and cursive alphasyllabaries), which were derived from Egyptian hieroglyphs and demotic, were deciphered in 1911 by F. Ll. Griffith. However, Meroitic belongs to a not-so-rare category of ancient languages that are written in a well-known script but are not or incompletely understood, such as Etruscan, Gaulish, Elamite, and many others. As no significant bilingual text was so far discovered, progress in the translation of the Meroitic texts was rather slow in a hundred years. Another reason was the lack of evidence for existing related languages. Scholars such as Griffith himself and his successors Macadam (1909-1997), Hintze (1915-1993), Millet (1934-2004) and Hofmann (1934-2016) had to use internal methods of decipherment with contrasted results. In 2010, the present author provided strong evidence for linking Meroitic to a sub-family of Nilo-Saharan languages, termed Northern East Sudanic. It comprises four groups of living languages spoken from Chad to Eritrea and significantly includes Nubian, a language family that replaced Meroitic in the Middle Nile valley after the fall of Meroe. This recent discovery gave new impetus to the study of Meroitic. Linguistic comparison with related languages and with the reconstructed proto-language is unfortunately not the ultimate key to the complete decipherment of Meroitic (the related languages are actually not so close), but it proved to be a powerful tool when added to internal methods. Currently, certain categories of texts like the funerary inscriptions can be translated entirely or almost entirely, whereas historical and administrative inscriptions remain in great part obscure, but this obscurity is gradually losing ground.