Séances Vendredi 14 avril 2023

– Note d’information de M. Denis KNOEPFLER, associé étranger de l’Académie : « Une fouille menée jusqu’à son terme : l’exploration du site de Rhamnonte (Attique) par la Société archéologique d’Athènes ».

 

Résumé

Située sur la côte orientale de l’Attique, la forteresse de Rhamnonte avait fait l’objet sous ce titre, en 1954, d’une intéressante étude de Jean Pouilloux, ancien membre de l’Académie (décédé en 1996) ; mais le site dans son ensemble n’avait été que très incomplètement exploré à la fin du XIXe siècle, tandis que ses antiquités étaient la proie d’incessantes opérations clandestines. En 1975, l’éphore Vassilios Petrakos (associé étranger de l’AIBL, aujourd’hui nonagénaire) put entreprendre, aux frais de la Société Archéologique d’Athènes (dont il est Secrétaire général depuis 1987) des fouillles systématiques, qui ont duré un quart de siècle et ont abouti à une publication monumentale en six gros volumes très richement illustrés (Athènes, 1999-2020, en grec). La présente note d’information met en évidence que le premier souci du fouilleur a été de recueillir et de conserver dans un dépôt construit à cet effet tous les membra disjecta épars à travers le site, de restaurer autant que possible les monuments (notamment les grands tombeaux de marbre et les assises des deux temples du sanctuaire de la grande déesse Némésis), de compléter enfin la connaissance de la forteresse et de son dispositif intérieur, jusque-là très largement ignoré. Mais, chemin faisant, il a fait aussi des découvertes d’un intérêt exceptionnel : il est parvenu ainsi à reconstituer la base historiée de la statue de culte de Némésis et à donner une image complète de l’aspect qu’avait cet agalma décrit par le périégète Pausanias au IIe siècle de notre ère encore. Il a mis au jour, sur le flanc oriental de la forteresse, une porte à peine soupçonnée par ses devanciers, alors qu’elle fut, en réalité, l’entrée principale dans le phrourion à partir du milieu du IIIe siècle av. J.-C. La mise au jour – pratiquement in situ – de très nombreuses inscriptions lui ont permis d’identifier deux petits sanctuaires (celui d’Aphrodite Hégèmonè et du Héros Archégète) liés de très près à la vie des garnisaires pendant deux ou trois siècles. Cette contribution épigraphique majeure à l’histoire politique, militaire, religieuse et sociale d’Athènes durant l’époque hellénistique est mise plus particulièrement à l’honneur dans une étude complémentaire (Paris, 2022) que vient de publier l’auteur de cette note d’information.

Mots clefs : forteresse de Rhamnonte, Athènes, époque hellénistique, vie militaire, cultes

 

 

– Communication de M. Édouard Mehl, professeur à l’Université de Strasbourg, sous le patronage de MM. Jean-Robert ARMOGATHE et Roland RECHT : « La symbolique cosmographique dans la mystique rhéno-flamande et la peinture du nord au XVe siècle :  le Diptyque de la Passion et la Résurrection de Jan van Eyck ».

 

Résumé

La découverte de l’hémisphère austral et l’exploration de la côte atlantique de l’Afrique impliquent, dans la première moitié du XVe siècle, une transformation radicale de l’horizon cosmographique. C’est cette transformation que reflète, entre autres, l’évolution des positions théoriques sur la question des Antipodes à la fin du Moyen-Âge, et dont témoigne, dans l’ordre spéculatif, la nouvelle logique des relations spatiales que développe Nicolas de Cues, dans les années 1430 (concile de Bâle).

Cette mutation entre en résonance et en interaction avec la compréhension de l’histoire humaine (i. e. l’histoire du Salut), dans la mesure où la prédication universelle de l’Évangile (Mt 24) est considérée comme une condition et comme un signe de l’accomplissement des temps, c’est-à-dire de l’avènement du Royaume du Christ, objet de l’espérance chrétienne. L’extension du paysage cosmographique et la protension eschatologique sont donc, selon une conviction propre à cette époque, apparentées et liées par une forme de connexion idéale ; connexion à laquelle, selon notre hypothèse, la peinture de Jan van Eyck donne une forme concrète et réalisée.

Nous proposons donc de relire le Diptyque de la Passion et de la Résurrection (New York, Metropolitan Museum of Art, Fonds Fletcher, 1933, 33.92ab) à la lumière de cette connexion cosmographico-eschatologique. Dans cette œuvre, qui sert de modèle et de référence à toute la série des Jugements de l’École flamande (Van der Weyden, Petrus Christus, Memling, Jean Le Tavernier…), trois éléments retiendront l’attention : la représentation de la Lune et du paysage montagneux dans le décor de la Passion, le bouclier de l’Archange Michel dans le panneau de la Résurrection, et, au niveau intermédiaire de ce même panneau, une scène dans laquelle il est possible de voir les préparatifs de l’union royale entre Philippe III de Bourgogne, patron de Jan van Eyck, et la princesse Isabelle de Portugal.

Tous ces éléments symboliques sont reliés entre eux selon une certaine syntaxe dont la science médiévale de la lumière constitue la grammaire fondamentale, avec sa distinction entre les trois modalités du rayonnement lumineux : direct, réfléchi et réfracté.

Mots clefs : Antipodes, eschatologie, Jugement, concile de Bâle, peinture flamande.

 

Abstract

The discovery of the Southern Hemisphere and the exploration of the Atlantic coast of Africa implied, in the first half of the 15th century, a radical transformation of the cosmographic horizon. This transformation is reflected, among other things, in the evolution of theoretical positions on the question of the Antipodes at the end of the Middle Ages, and is reflected in the speculative order in the new logic of spatial relations developed by Nicolas de Cues in the 1430s (Council of Basel).

This transformation resonates and interacts with the understanding of human history (i.e. the history of salvation), insofar as the universal preaching of the Gospel (Mt 24) is considered a condition and a sign of the fulfilment of the times, i.e. the advent of the Kingdom of Christ, the object of Christian hope. The extension of the cosmographic landscape and the eschatological protension are thus, according to a conviction proper to this period, related and linked by a kind of ideal connection; a connection to which, according to our hypothesis, Jan van Eyck’s painting gives a concrete and realised form,

We therefore propose to reread the Diptych of the Passion and Resurrection (New York, Metropolitan Museum of Art, Fletcher Collection, 1933, 33.92ab) in the light of this cosmographic-eschatological connection. In this work, which serves as a model and reference for the entire series of Judgements of the Flemish School (Van der Weyden, Petrus Christus, Memling, Jean Le Tavernier, etc.), three elements stand out: the representation of the Moon and the mountainous landscape in the Passion scene, the shield of the Archangel Michael in the Resurrection panel, and, at the middle level of the same panel, a scene in which it is possible to see the preparations for the royal union between Philip III of Burgundy, Jan van Eyck’s patron saint, and Princess Isabella of Portugal. All these symbolic elements are linked together according to a certain syntax, the fundamental grammar of which is the medieval science of light, with its distinction between the three modes of light radiation: direct, reflected and refracted.

Keywords : Antipodes, eschatology, Judgement, Council of Basel, Flemish painting.