Séances vendredi 18 Novembre 2022

Rolf Große,

Les impostures de l’abbé Suger

Suger compte parmi les personnalités les plus emblématiques du XII e siècle. Donné dès son enfance à l’abbaye de Saint-Denis, il assume en jeune moine des tâches importantes avant d’être élu abbé en 1122. Il entretient des relations aussi étroites avec la curie pontificale qu’avec la cour royale. Le chœur de l’église abbatiale qu’il a fait construire est considéré comme un des ouvrages fondateurs de l’architecture gothique. La position de Suger semble avoir été exceptionnelle. Mais nos connaissances reposent en grande partie sur ses témoignages personnels, notamment le De administratione. Or ces témoignages ne sont pas exempts d’une tendance à exagérer son propre rôle. La comparaison avec d’autres sources ne relativise pas seulement ses exploits, mais montre également qu’il n’hésitait pas à altérer les faits. Il a ainsi passé sous silence certaines réussites de son prédécesseur Adam pour les créditer sur son propre compte. S’il s’est servi de ces moyens d’imposture, ce n’est pas la soif de gloire qui l’a poussé à le faire, mais le souci du salut. Dans le prologue de son De administratione, il écrit que les frères lui ont demandé de le rédiger et qu’en contrepartie, ils lui ont promis « les prières instantanées et perpétuelles de tous les frères à venir pour le salut de (son) âme ». Cela correspond au zèle particulier de Suger à fonder des célébrations liturgiques à Saint-Denis, qui servaient à la mémoire non seulement des rois mais aussi de lui-même. Il pensait dépendre de la prière des moines pour son salut. Il ne se fiait pas à la parole de l’apôtre Paul, dont saint Denis était considéré comme le disciple, selon laquelle l’homme est justifié par sa foi en Jésus-Christ, non pas par le mérite, mais par la grâce.