Séances Vendredi 19 janvier 2024

Communication de M. François Baratte, correspondant de l’AIBL : « Les banquets romains, lieux d’échanges intellectuels : l’apport de la vaisselle ancienne. »

 

Résumé

La vaisselle de table en argent jouit dans le monde romain d’une grande faveur. Elle permet au maître de maison d’étaler son opulence tout en manifestant auprès de ses hôtes ses goûts, ses préoccupations et sa culture, réelle ou supposée ; le décor que porte les objets peut susciter l’admiration ou l’étonnement de ces derniers, faisant naître leurs interrogations, alimentant ainsi leurs échanges avec leurs commensaux.

 

L’argenterie est particulièrement nombreuse au premier siècle de notre ère : Pompéi a livré plusieurs grands trésors qui montrent la place qu’elle tenait sur la table, tout particulièrement les coupes à décor figuré, présentes par paires dans les services. Le répertoire mis en œuvre par les orfèvres est très riche et d’une grande diversité, et le récit dans le Satiricon du banquet ridicule offert par Trimalcion met en évidence le rôle que jouaient ces objets. Mais leur matérialité est un élément essentiel pour comprendre la manière dont étaient perçues les images, la forme cylindrique empêchant qu’on les embrasse d’un seul regard : les convives ne les découvrent que progressivement, après avoir pris les vases en main et commentées avec leurs voisins de table.  Les skyphoi aux centaures de Berthouville (au Cabinet des médailles de la BnF), par l’extrême richesse de leur décor et les deux coupes aux squelettes de Boscoreale (au musée du Louvre) illustrent parfaitement ce propos, les deux derniers objets en particulier qui établissent un dialogue entre les images (les squelettes) et les textes nombreux qui les accompagnent et qui en donnent la clé.

 

Toutefois, à la fin du Ier se produit dans la vaisselle d’argent une révolution : les coupes historiées disparaissent, sans qu’on en comprenne la raison. Les images se reportent sur les vases à verser, qui sont entre les mains des serviteurs et non plus des convives, et sur les plats, qui connaissent un accroissement régulier de leur taille jusqu’à la fin de l’Antiquité et qui deviennent trop grands et trop pesants pour être sur la table : on doit les disposer plutôt sur des dressoirs. Un autre phénomène se développe : la place croissante accordée aux couverts individuels, notamment aux cuillers, qui portaient souvent des inscriptions dont certaines pouvaient donner lieu à échanges animés entre les convives. C’est le cas d’un groupe de cuillers de Lampsaque (VIe s.), qui proposaient, en grec, les maximes des Sept Sages de la Grèce, accompagnées d’un bref commentaire ironique mais aussi, sur trois cuillers, des citations, en latin, des Bucoliques, ou une maxime issue de la sagesse populaire, commentées en grec.

 

Prennent place aussi sur la table des petits objets figurés, comme des boîtes à épices, que les banqueteurs pouvaient prendre en main et commenter. Les surtouts en argent avaient également leur rôle : l’exemple le plus riche pour sa signification est une coupe du trésor de Vinkovci (Croatie), au début du Ve s., qui comporte un décor figuré et une inscription sur sa paroi intérieure, et en son centre une représentation de Tantale sur son rocher : un ingénieux système faisait que jamais le liquide ne pouvait atteindre la main du supplicié. L’inscription fait du supplicié l’image des avares : c’est une citation d’une fable de Phèdre (Appendice, fable V). Autant de caractéristiques qui devaient susciter l’étonnement et l’amusement des banqueteurs, qui devaient échanger sur cet objet des propos divers, en fonction de leur culture et de leur humeur.

 

Mais du Ier au VIe siècle on passe donc à table d’un commentaire sur des images à celui d’inscriptions, ou d’objets amusants. Les reliefs figurés sont désormais ailleurs, sur les dressoirs, et sur les œnochoés.