Séances Vendredi 8 décembre 2023

– Note d’information de M. Jacques Berlioz, directeur de recherche émérite au CNRS,  sous le patronage de MM. Michel BUR et Dominique BARTHÉLEMY : « Comes facetus. Henri Ier de Champagne (1127-1181) et le vilain enrichi dans La Vie de saint Louis de Jean de Joinville et les récits exemplaires. »

 

Résumé

Dans la Vie de saint Louis composée entre 1305 et 1309 par Jean de Joinville, sénéchal de Champagne, se place un récit illustrant la réputation de largesse du comte de Champagne Henri Ier le Libéral (1152-1181). Un chevalier demande à Henri de quoi marier ses deux filles. Artaud de Nogent (Nogent l’Artaud, le long de la Marne, à 13 km au sud-ouest de Château-Thierry), riche bourgeois et homme de confiance du comte, lui répond que ce dernier n’a plus rien à donner. Henri donne alors Artaud au chevalier. Et Artaud recouvre sa liberté contre rançon. Ce récit, en forme d’exemplum, genre dont sont friands tant Joinville que saint Louis, est confronté à cinq récits exemplaires (vers 1230-1323), dont un, dû à un frère Sachet, est inédit. Répartis en deux familles, ces exempla permettent d’apprécier le rôle de la tradition orale dans la transmission de l’anecdote et de constater l’inventivité narrative de Joinville, au détriment parfois des réalités historiques. De même, alors que les exempla se partagent sur le sens à donner à l’anecdote (générosité ; miséricorde ; condamnation des mauvais conseillers), Joinville en fait une arme contre les parvenus accédant à la noblesse. Artaud (ses origines sont obscures) l’avait acquise en construisant un château au caractère ostentatoire (dont les restes ont été découverts à Nogent-l’Artaud en 2008). Trésorier du comte, Artaud avait fait fortune grâce à ce même comte. Pourtant ce nouveau riche humilié par Henri le Large a eu une belle carrière, y-compris après la mort du comte. Cette farce a-t-elle alors participé à la renommée du comte ? S’apparente-t-elle à la joking relationship (« parenté à plaisanterie ») étudiée par les anthropologues africanistes ? Quant au récit premier lui-même (le don de soi-même à un pauvre), il se trouve dans les Jatakas (et il est passé dans les exempla japonais) et dans la littérature dérivée des Mille et une Nuits.

Mots clés : Jean de Joinville ; Nogent-l’Artaud ; Henri Ier de Champagne ; exemplum ; servage

 

Abstract

In the Life of Saint Louis, written by Jean de Joinville, seneschal of Champagne, between 1305 and 1309, there is a story illustrating the reputation for largesse of Henri the Liberal (1127-1181), count of Champagne. A knight asks Henry for money to marry off his two daughters. Artaud de Nogent (Nogent l’Artaud, on the banks of the Marne, 13 km south-west of Château-Thierry), a wealthy bourgeois and one of the count’s most trusted confidants, replied that the Count had nothing left to give. Henri gave Artaud to the knight. Artaud regained his freedom in return for a ransom. This story, in the form of an exemplum, a genre favoured by both Joinville and Saint Louis, is compared with five exemplary stories (circa 1230-1323), one of which, by a Sachet friar, has never been published before. Divided into two families, these exempla show the role of oral tradition in the transmission of stories and demonstrate Joinville’s narrative inventiveness, sometimes to the detriment of historical reality. Similarly, while the exempla are divided over the meaning to be given to the anecdote (generosity; mercy; condemnation of bad advisers), Joinville uses it as a weapon against the social climbers (the origin of Artaud remain obscure) who have reached the nobility. Artaud had acquired it by building an ostentatious castle (the remains of which were discovered in Nogent-l’Artaud in 2008). As the Count’s treasurer, Artaud had made his fortune thanks to the count himself. Yet this nouveau riche, humiliated by Henry the Liberal, had a successful career, even after the count’s death. Did this farce contribute to the count’s fame? Was it similar to the “joking relationship” studied by African anthropologists? As for the original story itself (the giving of oneself to a poor person), it can be found in the Jatakas (and has passed into Japanese exempla) and in literature derived from the Arabian Nights.

Keywords : Jean de Joinville; Nogent-l’Artaud; Henri I de Champagne; exemplum; serfdom

 

– Communication de M. Sylvain Fachard, sous le patronage de MM. Pierre DUCREY et Denis KNOEPFLER : « Comprendre un sanctuaire grec et son environnement : le cas de l’Artémision d’Amarynthos dans l’île d’Eubée (Grèce). »

 

Résumé

Avec la collaboration de A. Simosi, T. Saggini, S. Verdan, T. Kpraf, Th. Theurillat, J. André, Ch. Chezeaux, D. Roussos et O. Kyriazi.

Si la découverte du sanctuaire d’Artémis Amarysia à Amarynthos a permis de résoudre une énigme de topographie eubéenne et de géographie historique (voir CRAI 2018, 2, p. 845-953), elle présentait également la possibilité, quasi unique, d’explorer et d’étudier un sanctuaire grec de grande importance en s’appuyant sur les méthodes et techniques de fouilles les plus modernes.

Après une première phase exploratoire entre 2007 et 2020, les fouilles conduites entre 2021 et 2023 ont permis d’éclairer les origines du sanctuaire en mettant au jour la succession de deux temples archaïques, eux-mêmes fondés sur des vestiges plus anciens encore, de plusieurs autels et d’un large dépôt votif de la fin du 6e siècle contenant plus de 700 objets, pour la plupart intacts. Grâce à l’apport des sciences de la terre (géologie, sédimentologie, micromorphologie, géomorphologie), de nouvelles données éclairent la formation et la stratigraphie du site, ainsi que son évolution au sein d’un environnement complexe et changeant. En parallèle, un projet de prospection archéologique exhaustif sur plus de 20 km2 a exploré systématiquement la pénéplaine érétrienne et le bassin-versant du Sarantapotamos afin de préciser l’histoire de l’occupation humaine de ce terroir et l’insertion de l’Artémision au sein du « paysage » antique.

La présente communication dressera un bilan archéologique de nos connaissances récentes sur le sanctuaire d’Artémis. Elle cherchera également à montrer comment la combinaison innovante de plusieurs méthodes permet de mettre en évidence des pratiques rituelles antiques avec un degré de précision inédit et d’étudier l’histoire de l’Artémision en combinant plusieurs échelles d’analyse, marquant ainsi une étape dans la recherche archéologique sur les sanctuaires grecs.

Mots clés : Eubée, Artémis, sanctuaire, paysage, archéologie