Travaux Les devises de médailles composées par Boileau, historiographe du Roi, membre de la Petite Académie

Texte extrait de l’article de Mademoiselle Josèphe Jacquiot, in Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1962, Vol. 106-2, pp. 177-197.

 

Bien que Colbert n’ait pu occuper le poste de surintendant des Bâtiments du roi que le 1er janvier 1664, il avait prévu, dès 1662, un plan grandiose pour immortaliser les gloires de Louis XIV, de ce roi qui a voulu que l’histoire célèbre en lui un nouvel Auguste. Colbert pensait à achever le Louvre, à élever au roi des arcs de triomphe, des obélisques, des mausolées, et aussi « à faire battre quantité de médailles, pour conserver à la postérité les mémoires des grandes actions du roi, que le roi avait déjà faites, et qu’il croyait être suivi d’autres encore plus grandes et plus considérables » (1). Pour préparer ce plan de travaux il s’entoura d’hommes éclairés : Chapelain, l’abbé Bourzeis, l’abbé Cassagnes, Charles Perrault et son ami Charpentier. Les réunions avaient lieu le mardi et le samedi chez le ministre et elles restaient secrètes. Ce Conseil (2) de cinq membres constitué par des hommes que Colbert pouvait consulter sur toutes les choses qui regardent les bâtiments, où « il pouvait entrer de l’esprit et de l’érudition » allait former la Petite Académie qui prit corps le troisième jour de février 1663. Malgré ce programme ambitieux, il n’a pas été, semble-t-il, frappé beaucoup de médailles pendant les vingt premières années de la Petite Académie ou du moins nous n’en connaissons que quelques-unes signalées par Charles Perrault dans ses Mémoires (3). On aimerait pouvoir considérer le manuscrit enluminé, retrouvé à Chantilly (4), comme une première histoire métallique composée par la Petite Académie entre les années 1663 et 1680. Mais bien que les devises de treize médailles soient de Charpentier, et trois autres de Charles Perrault, rien ne nous permet d’y voir un travail fait par cette Compagnie. Il semble bien que ce ne soit qu’après la mort de Colbert que la Petite Académie a consacré ses séances à la composition des devises de médailles et de jetons. Celle-ci presque entièrement renouvelée (5) travaille sous l’autorité de Louvois, qui en vérité ne porte pas grand intérêt aux inscriptions et devises, mais s’efforce d’aimer tout ce qui est prédilection du roi. De la Petite Académie il exclut Charles Perrault (6) et fait appel en 1683 à trois membres nouveaux, Jean Racine, Boileau Despréaux, tous deux historiographes du roi depuis 1677, et Rainssant (7). Boileau sera un membre assidu de la Petite Académie, il aimera discuter de ces devises pour les médailles et les jetons, et il aimera en composer un certain nombre. Sa santé lui refusant de suivre le roi dans ses campagnes, comme le faisait Racine, il écrira souvent à celui-ci (8) pour l’entretenir des discussions de la Compagnie à propos des devises de médailles, pour lui demander conseil, ou parfois pour railler les devises proposées par Charpentier auquel il avait voué une solide inimitié (9).

 

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1. Mémoires de Charles Perrault de l’Académie Française contenant beaucoup de particularités et d’anecdotes intéressantes du Ministère de Colbert, Avignon, 1759, p. 33 et sqq. Le projet de Colbert « de faire battre des médailles pour conserver à la postérité les grandes actions du roi » n’est pas un projet original ; sous Henri IV Rascas de Bagarris avait, le premier, pensé à faire une histoire métallique. P. Tamizey de Larroque, Les correspondants de Peiresc : Pierre-Antoine de Rascas, sieur de Bagarris, Aix-en-Provence 1887.

2. Il ne faut pas oublier que Colbert avait un autre souci en prévoyant ce plan de travaux dirigé par un Conseil qu’il allait créer, c’était d’arracher les gens de lettres aux financiers. « Ceux-ci, disait-il, entretenaient les muses mêmes et toutes les sciences, et les écrivains couraient ainsi les risques de tomber dans la nécessité de n’avoir à louer que la corruption ». Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, t. III, p. 9.

3. Op. cit.

4. Ce manuscrit a été acquis par le duc d’Aumale avec la collection Cigongne. Il est conservé à la Bibliothèque du Musée Condé à Chantilly (951 ancien 1573). Enluminé par Bailly il se compose de 16 feuillets de velin consacré chacun à une médaille commémorant un événement antérieur à 1679.

5. L’abbé Bourzeis mort en 1672 est remplacé par l’abbé Tallemant. Quinault remplace Chapelain mort en 1674 ; Perrault est remplacé par Gallois qui exerce les fonctions de secrétaire, mais qui ne les gardera pas ; il n’apportait à la Petite Académie qu’une attention secondaire.

6. Charles Perrault a été membre et secrétaire de la Petite Académie de 1663 à la mort de Colbert. Dans ses mémoires il relate avec une certaine amertume la façon dont Louvois lui a fait quitter la Compagnie : « Voilà comment j’ai été exclu de la Petite Académie, où j’aurais été assez aise d’être continué, mais il fallut encore souffrir cette mortification ». Charles Perrault, op. cit., p. 200.

7. Pierre Rainssant était Directeur du Cabinet des Médailles du roi en 1664.

8. La Roque (de), Lettres inédites de Jean Racine, Paris, 1862. Lettre XXXV, de Boileau à Racine, juin 1693 : à propos du mauvais goût de Charpentier dans le choix de la légende d’une médaille. Lettre XXXVII, de Boileau à Racine, samedi 9 juin 1693 : à propos de la médaille sur la prise de Bruxelles inventée par M. de La Chapelle. Lettre XXXIX, de Boileau à Racine, 13 juin 1693 : sur la médaille de la Prise d’Heidelberg, où il raille M. Charpentier. Lettre XXXIII, de Racine à Boileau, au Quesnoy 30 mai 1693 ; à propos de la médaille de l’Ordre de Saint-Louis, Racine prie Boileau de transmettre sa pensée à M. de La Chapelle et propose pour légende : ORDO MILITARIS. Lettre XVI, de Boileau à Racine, à Bourbon le 28e aoust 1687 : dans cette lettre Boileau exprime son désir de retrouver sa parole pour pouvoir combattre M. Charpentier. Lettre IX, de Boileau à Racine, le 25e Mars 1691 au sujet de la médaille sur le siège de Mons.

9. Cette inimitié de Boileau pour Charpentier s’est manifestée bien avant qu’il ne soit à la Petite Académie. En 1673 Charpentier écrivait dans une épigramme :  J’ai souffert  » De Boileau l’affreuse satire, Qui déchira nos rois et nos dieux ». F° 5 du Recueil de plusieurs pièces contre Despréaux, manuscrit, petit in-12 et dans J. Berriat-Saint-Prix, Oeuvres de Boileau-Despréaux, t. I, Paris, 1830, p. LXIV.

10. Au XVIIe siècle le travail d’invention des devises avait pris une très grande importance. Il y avait un fonds assigné à ceux qui composaient des devises pour les jetons du roi et de la reine. Avant la création de la Petite Académie c’était Louis Douvrier qui était l’auteur de presque toutes les devises. La devise est formée d’une légende et du type, la légende étant toujours explicative du type dont les figures doivent charmer l’oeil par l’art de la composition. Ces légendes animent les figures et doivent avoir « une bonne cadence qui caresse l’oreille pendant qu’elles frappent l’esprit par leur ingéniosité, leur délicatesse, leur imprévu »