Séances Vendredi 15 décembre 2023

– Note d’information de MM. Victor Gysembergh, chargé de recherche au CNRS (centre Jean Robin de l’Université Sorbonne) et Emmanuel Zingg, membre associé du centre Jean Robin, sous le patronage de MM. Carlos LÉVY et Jacques JOUANNA : « Un nouveau témoin palimpseste d’une introduction romaine à la philosophie platonicienne. »

 

Résumé

Le manuscrit XL (38) de la Biblioteca Capitolare di Verona constitue le dernier volume d’une copie des Réflexions morales sur Job de Grégoire le Grand. Il fut écrit en partie sur des feuilles palimpsestes provenant de quatre manuscrits latins tardo-antiques, dont trois ont été identifiés et édités en majeure partie : des exemplaires très anciens de Virgile et Tite-Live, pourvus de scholies uniques, et une traduction unique des Éléments d’Euclide. Le quatrième texte effacé est connu dans la recherche comme tractatus philosophicus. De lecture très difficile, il n’a jamais été étudié en détail et l’identification du traité est restée une question ouverte.

L’étude d’images multispectrales nous a permis d’identifier le tractatus philosophicus. Parmi les seize pages de ce texte, deux correspondent largement à un passage du « Nouvel Apulée », un résumé de l’œuvre de Platon édité pour la première fois d’après la copie acéphale du Vaticanus Reginensis latinus 1572 (XIIIe s.) par Justin A. Stover en 2016 (chapitres 7, l. 25-8, l. 24). À en juger par la mise en page, par l’écriture (une onciale probablement du VIe s.) et par le contenu, pour autant que le texte soit lisible, les quatorze autres pages appartiennent certainement au même texte, mais proviennent du début manquant dans le Vaticanus et donc jusqu’à présent inconnu. Les nouveaux fragments de Vérone montrent que le début du texte était beaucoup plus étendu qu’on ne le pensait et que le traité contenait à l’origine probablement les résumés de tous les dialogues de Platon.

Nous présenterons le texte et le manuscrit qui le transmet, l’état de son déchiffrement toujours en cours, ainsi que des pistes de réflexion sur l’importance de cette découverte pour l’histoire de la philosophie dans l’Empire romain et la place du texte du « Nouvel Apulée » dans la culture littéraire antique.

 

Abstract

Manuscript XL (38) in the Biblioteca Capitolare di Verona is the last volume of a copy of Gregory the Great’s Moral Reflections on Job. It was written in part on palimpsest leaves from four Late Antique Latin manuscripts, three of which have been identified and edited for the most part: very early copies of Virgil and Titus Livius, with unique scholia, and a unique translation of Euclid’s Elements. The fourth erased text is known to scholars as the tractatus philosophicus. Very difficult to read, it has never been studied in detail, and identification of the treatise has remained an open question.

The study of multispectral images has enabled us to identify the tractatus philosophicus. Of the sixteen pages of this text, two largely correspond to a passage from the « New Apuleius », a summary of Plato’s works first edited from the acephalous copy of the Vaticanus Reginensis latinus 1572 (13th c.) by Justin A. Stover in 2016 (chapters 7, l. 25-8, l. 24). Judging by the layout, the script (an uncial probably from the 6th c.) and the content, insofar as the text is legible, the other fourteen pages certainly belong to the same text, but come from the beginning, which is missing from the Vaticanus and therefore hitherto unknown. The new Verona fragments show that the beginning of the text was much more

extensive than previously thought, and that the treatise probably originally contained summaries of all Plato’s dialogues.

We will present the text and the manuscript that transmitted it, the state of its decipherment, still in progress, as well as some thoughts on the importance of this discovery for the history of philosophy in the Roman Empire and the place of the « New Apuleius » text in ancient literary culture.

 

 

– Communication de M. Christian ROBIN, membre de l’AIBL, et de Mme Alessia Prioletta, chargée de recherche au CNRS : « Nouvelles inscriptions himyarites relatives à la crise de Najrān en 523 de l’ère chrétienne. »

 

Résumé

La Mission archéologique franco-saoudienne de Najrān qui conduit des fouilles et des prospections dans la province sud-ouest de l’Arabie saoudite depuis 2007 a découvert en 2021 un ensemble de nouveaux textes gravés sur les rochers du désert, à une centaine de kilomètres au nord de Najrān, datant de juin et juillet 523 de l’ère chrétienne. Ces textes commémorent les opérations militaires ordonnées par le souverain juif du royaume de Ḥimyar (dont la capitale est au Yémen) visant à reconquérir l’oasis chrétienne de Najrān qui s’était révoltée.

Deux inscriptions très longues ont pour commanditaire le chef de l’armée (qui comptait 12 000 combattants) et un chef tribal. Deux dizaines d’autres textes mentionnent des chefs militaires qui ont participé aux opérations.

Grâce aux auteurs ecclésiastiques, on sait que Najrān a fait sa soumission et a ouvert ses portes en novembre 523 et que les révoltés chrétiens ont été immédiatement massacrés. Cet épisode est appelé traditionnellement « la persécution des chrétiens de Najrān ».

Les nouvelles inscriptions qui complètent d’autres textes découverts précédemment permettent de conclure que l’armée himyarite a d’abord conduit une longue opération d’intimidation. Elles confirment que le conflit, au moins dans sa phase initiale, a été plus politique que religieux. Elles donnent de nouveaux éclairages sur de nombreuses questions comme la composition de l’armée. Enfin, elles invitent à s’interroger sur la finalité des textes épigraphiques et sur la manière dont ils sont composés.