Publications Cahiers de la Villa « Kérylos » N° 1
« Platonisme et néoplatonisme. Antiquité et temps modernes »
Sous la direction de Georges Vallet
Année de parution : 1991
126 pages
Présentation
Le modèle platonicien du système ontologique plotinien
L’on sait que Plotin est hautement redevable à Philon d’Alexandrie quant à sa conception de la structure de dérivation des hypostases. On ne saurait toutefois se méprendre sur le rôle que la dernière forme de l’ontologie platonicienne a pu jouer dans le processus de la structuration du système ontologique plotinien. Dès lors, entreprendre de retracer la suite des étapes qui ont conduit à l’élaboration de ce système acquiert une importance capitale. C’est à cette tâche que correspond l’exposé qui suit. On n’évitera pas de remonter jusqu’au philosophe Parménide. En effet, chez Parménide (…), l’opposition entre être et non-être revêt le sens d’une polarisation ontologique complète aux termes de laquelle positivité et négativité sont régies par une relation d’irréductibilité respective absolue qui s’exprime par une irréductibilité de l’être au non-être, et inversement. Parménide ira même jusqu’à nier en l’occurrence sa propre affirmation de l’unité, voire de l’unicité de l’être, puisqu’il mentionnera l’existence d’une pluralité d’êtres, opposée à une pluralité de non-êtres (…). Evanghélos A. Moutsopoulos. Lire et/ou télécharger l’article
Du mythe hésiodique des races au mythe homérique des muses dans la République [Une interprétation économique de la politique platonicienne ]
Les théoriciens de la politique, les philosophes et les historiens s’accordent, au moins depuis Aristote, à souligner l’incompatibilité des sphères économique et politique dans la cité grecque. A la politique le dehors, l’espace vide, masculin, laïc et indifférencié de G agora, où la parole commune des citoyens déploie l’ordre de la réciprocité et de l’égalité ; à l’économie le dedans, le lieu plein, féminin, religieux et différencié du foyer domestique où se perpétue l’ordre de l’inégalité et des lignées biologiques. Les analyses de Jean-Pierre Vernant sur l’organisation de l’espace chez les Grecs à partir de la complémentarité du couple Hestia-Hermès, le principe du mouvement et le principe de la permanence, sont aujourd’hui devenues classiques, et il n’y a pas lieu de revenir ici sur leur pertinence et leurs conclusions. Nous voudrions établir que le projet politique de Platon, dans la République au premier chef, repose pour sa part sur un paradigme économique qui a la charge d’articuler les domaines majeurs de la politique, de l’éthique et de la cosmologie. Les analyses proprement dialectiques de la Justice et de l’idée de Bien, axe essentiel du dialogue, sont en effet tendues entre deux mythes économiques : le mythe des races métalliques nées de la Terre, hérité d’Hésiode (livre III), et le mythe des Muses, imité d’Homère, qui expose le nombre parfait du Ciel comme le nombre géométrique des hommes (livre VIII). Platon emprunte à Hésiode le mythe des cinq races d’hommes pour mieux établir la nécessité d’une tripartition des fonctions de l’âme et de celles de la cité, laquelle, à son tour, dévoilera la loi qui préside à la genèse des cinq régimes politiques et des cinq tempéraments humains correspondants, selon les cycles naturels du cosmos. La mythologie platonicienne révèle ainsi qu’elle demeure le modèle initial de toute généalogie, qu’il s’agisse de celles de l’âme, de la cité ou du monde. (…) Jean-François Mattéi. Lire et/ou télécharger l’article
Hippocrate vu par Platon
Dans cette communication, je voudrais revenir sur un problème de philologie grecque très ancien et très controversé : il s’agit de l’interprétation de la célèbre page de Platon dans le Phèdre, 269 e – 270 d, où dans la discussion entre Phèdre et Socrate, Hippocrate est cité trois fois. C’est un problème très important et très irritant, sur lequel les érudits, aux différentes époques, n’ont jamais pu se mettre d’accord ; très important, parce que c’est le seul témoignage que nous ayons sur la doctrine médicale d’Hippocrate (à peu près contemporain de ce grand médecin), et donné par un témoin d’une valeur exceptionnelle ; mais très irritant, parce que depuis plus d’un siècle (et même avant, puisque cette discussion date de l’antiquité) de très nombreuses hypothèses ont été émises, toutes contradictoires, inconciliables, et qu’aucune solution raisonnable n’est apparue. Pourtant, de l’interprétation de ce passage, dépend l’idée qu’on se fait des rapports entre Platon et Hippocrate, et même en général avec toute la médecine de son temps. Mais il serait exagéré de dire que depuis un siècle aucun progrès n’a été fait vers la solution, car les érudits ont au moins acquis l’idée que la question hippocratique proprement dite, le problème de savoir si ce passage de Platon permettait ou non d’authentifier un traité de la Collection hippocratique comme étant d’Hippocrate, et lequel, bien loin de faciliter la compréhension du passage du Phèdre, l’obscurcissait au contraire, en essayant de faire dire aux phrases de Platon tout autre chose que ce que leur auteur voulait mettre en elles. Malgré l’enthousiasme de Littré, qui dès le premier volume de son édition d’Hippocrate, en 1839, croyait pouvoir affirmer que le traité visé par Platon était V Ancienne médecine, tous les érudits ont l’air maintenant d’accord pour dire qu’il faut interpréter le passage du Phèdre indépendamment de la question hippocratique et dans le contexte de toute la discussion de ce dialogue, de tout ce moment de la pensée de Platon. (…) Thivel Antoine. Lire et/ou télécharger l’article
Les circonstances atténuantes dans le parricide du Sophiste de Platon
L’histoire de la philosophie, comme on le sait, est un interminable et fécond dialogue entre les individus par systèmes interposés. Le dialogue est parfois amical, parfois orageux ; c’est de temps en temps constructif et très souvent c’est aussi un dialogue de sourds. Platon n’échappe pas à cette règle, et sa philosophie est, elle aussi, le fruit d’un dialogue avec ses prédécesseurs, et, pour souligner soit une certaine filiation, soit une divergence profonde, Platon cite souvent les idées et les noms de quelques philosophes précédents. Il faut avouer cependant que, mis à part Socrate, véritable incarnation de la vie philosophique et point de départ de la recherche platonicienne des valeurs et des réalités stables, tous les philosophes antérieurs sont l’objet de critiques plus ou moins acerbes. Les sophistes sont toujours « les méchants », mais le Phédon n’est pas tendre non plus envers Anaxagore (98 b-c), et les idées d’Heraclite, présentées par Cratyle, ne sont pas exemptes de critique Cratyle, 440 c-d).
Dans ce contexte, le cas de Parménide est un cas spécial. Platon admire Parménide. Comme on le sait, dans un passage du Théétète cité très souvent, Platon lui confère les deux adjectifs attribués par Hélène à Priam : « vénérable et redoutable » (183 e ; cf. //. , III, 172). Un psychoanalistc trouverait dans ce couple un exemple très suggestif de l’ambivalence des sentiments… Parménide, cependant, n’est pas une exception : lui aussi tombe sous le coup de la critique platonicienne. Mais une personnalité si forte requiert une critique proportionnelle à sa grandeur, et Platon n’hésite pas à utiliser les grands moyens : dans le cas de Parménide la réfutation est assimilée à un crime. En effet, à la page 241 du Sophiste, le protagoniste du dialogue, l’Étranger d’Élée, dit qu’il procédera à l’exécution du « père Parménide ». Tout cela est très connu, mais je crois que le prestige de la victime et, surtout, les conséquences bénéfiques du crime (car grâce au parricide Platon pourra justifier la prédication multiple, p ???a ???, véritable cadeau pour le jeune Aristote) ont invité les chercheurs à négliger l’un des protagonistes du drame : l’assassin. En effet : on cherchera en vain dans l’immense bibliographie consacrée au Sophiste une étude sur la personnalité de l’Étranger d’Élée et des motivations de son crime.(…) Cordero Nestor-Luis. Lire et/ou télécharger l’article
Les Ennéades et l’expression poétique de la métaphysique
II arrive que la métaphysique, en certains moments de kairos, s’exprime poétiquement, et cela jusque dans l’aridité kantienne. Réciproquement, en de tels moments plus fréquents, la poésie prend une résonance métaphysique. Nous estimons que la poésie la plus signifiante offre une dimension métaphysique. Ainsi la métaphysique, chez Plotin plus souvent que chez d’autres, recourt-elle à de l’imaginaire et par là à du poétique et, d’autre part, certains poètes expriment-ils des thèmes métaphysiques consonants. Toute métaphore a deux dimensions, poétique et métaphysique. Le poétique suggère du non-dit. L’expression poétique de l’imaginaire plotinien marque les grands thèmes des Ennéades : l’Un ; les dualités — monodualités — unité et unicité/multiplicité, âme/corps, éternité/temps, intelligible/sensible, conversion/procession ; le problème du mal ; la continuité de la Vie universelle, etc. Or, des poètes de toutes les cultures et de toutes les langues (mais, dans les limites d’une communication, nous ne pourrons citer que quelques poètes français) expriment de tels thèmes. Car bien des poètes et des métaphysiciens communient dans des aperçus ou des touches analogues en modulant sur le Principe suprême, sur l’amour, sur la vie universelle, sur le salut. A partir de là, on peut relire le néoplatonisme, tout en redéfinissant la mission poétique de la métaphysique et la mission métaphysique de la poésie et en réhabilitant, si besoin était, l’imaginaire.(…) Gabaude Jean-Marc. Lire et/ou télécharger l’article
Plotin, ou l’anti-Narcisse
Un mythe se laisse mal résumer. A défaut d’y entrer avec une spontanéité aujourd’hui perdue, on peut tout juste en suivre le récit, en relever un par un les éléments, rapporter les parties et le tout à ce qu’on sait des civilisations qu’il a hantées. Ainsi seulement peut-on espérer, sinon découvrir toujours le sens qu’il y avait, du moins écarter souvent celui qu’il ne pouvait avoir, et que nous serions néanmoins tentés de lui prêter depuis notre présent absolutisé. A quelques variantes près, les versions qui nous sont parvenues de la légende, thébaine probablement, de Narcisse font état d’un jouvenceau se dérobant jalousement aux assauts amoureux que suscitait une beauté d’ailleurs ignorée de lui. Désespérant soupirantes et soupirants, il allait attirer sur lui la vengeance des dieux. Puisqu’il troublait l’ordre des choses en prétendant garder pour lui ce qui est fait pour être partagé, il en aurait tout le loisir : se penchant sur une source pour s’y rafraîchir, Narcisse découvre son image, lui qui jamais ne s’était vu, s’en éprend, et faute de pouvoir s’étreindre, en meurt. Certains disent de consomption, comme un Tantale qui aurait échappé à la perpétuité, à moins qu’il n’ait eu, selon d’autres, licence de mettre fin à ses jours. A la place de l’enfant mort de s’être en vain désiré, il y avait maintenant une fleur. A ce fonds, nous pouvons ajouter les précisions qu’on trouve dans le récit d’Ovide1. D’abord quant à la nature héroïque de Narcisse, issu des amours du dieu-fleuve Céphise et de la nymphe-ruisseau Liriopè : une histoire d’eau, dont on sait qu’elle est toujours létale en même temps que natale, comme un auteur tardif le rappellera2. Ovide mentionne aussi deux personnages bien connus d’autre part : Tirésias, le devin aveugle, qui prévoit le dénouement, car il a d’emblée l’intuition d’un destin, et Némésis, la vengeresse des dieux, qui fera en sorte que Narcisse soit puni par où il a péché. (…) Jerphagnon Lucien. Lire et/ou télécharger l’article
Le sens d’une alternative (Phédon, 78 b) ou : de l’utilité des commentaires néo-platoniciens
Dans un texte célèbre de la seconde édition de la Critique de la Raison pure, Kant félicite ce « philosophe pénétrant » qu’est Mendelssohn d’avoir, dans son Phédon, reconnu l’insuffisance de l’argument ordinaire fondant l’immortalité de l’âme sur sa simplicité : si elle est un être simple, l’âme ne peut évidemment pas se dissoudre en une multiplicité de parties. Mendelssohn vit bien cependant qu’on pourrait encore admettre qu’elle cessât d’exister par extinction (en quoi on peut remarquer qu’il ne fit que reprendre l’objection de Cébès) et il prétendit exclure cette possibilité en s’appuyant sur la continuité du temps. Venant à sa manière au secours de Cébès, Kant accorde que, n’ayant pas de parties extérieures les unes aux autres, l’âme n’a pas de grandeur extensive, mais il objecte à Mendelssohn qu’elle possède une grandeur intensive puisque ses facultés comme son existence comportent des degrés. Même prise comme un être simple, l’âme peut se trouver progressivement réduite à rien, non par dissolution mais « par une graduelle diminution (remissio) de ses forces (par consomption…) ». Puisqu’il existe un zéro de la grandeur intensive, la simplicité ne garantit pas la permanence. Se trouve donc vouée à l’échec toute psychologie rationnelle, démarche qui « entreprend de prouver par simples concepts l’absolue permanence de l’âme au delà de cette vie ». (…) Dixsaut Monique. Lire et/ou télécharger l’article
Le philosophe et le sacré. Réflexions sur le caractère hiératique de la philosophie chez Jamblique.
Depuis Olympiodore, Jamblique est considéré comme celui qui, en donnant la préséance aux doctrines hiératiques, a privé la philosophie de son autonomie, en reconnaissant aux paroles inspirées, en l’occurrence les Oracles Chaldaïques, une valeur de révélation. C’est aussi celui en qui se transformerait le rôle du philosophe, devenu médecin thérapeute des âmes par un rapport privilégié au sacré. Or la tradition platonicienne a toujours reconnu que la philosophie présupposait un rapport, une parenté avec le divin. Avec Jamblique, le divin serait marqué et comme confisqué par le sacré. On reprendra la critique, clairement exposée depuis F. Cumont, de ce caractère « sacerdotal » du philosophe, en s’appuyant en particulier sur le De Mysteriis de Jamblique.
Plus précisément, on étudiera ce qu’il en est de la prière, dans la mesure où la prière représente un acte religieux par essence, mais qui s’est trouvé comme aux marges, aux limites de l’exercice philosophique : ainsi dans le Phèdre où Socrate invoque les muses avant son premier discours, et remercie Pan et les autres divinités du lieu au moment de clore le dialogue ; ainsi dans le Timée, où Socrate rappelle qu’il convient de prier les dieux avant toute entreprise, donc avant tout discours. Toutefois, depuis Aristote et le De Interpretatione notamment, on sait que la prière fait partie de ces énoncés qui, ne pouvant recevoir ni le vrai ni le faux, n’appartiennent pas au savoir. Il reste que nous possédons, de Porphyre à Proclus, une suite de réflexions sur la prière (en particulier, De Myst., V, 26 et, pour Proclus, In Tim., t. 1,206,26-217,3), qui ne sont pas conduites comme si elles portaient sur un objet extérieur à la philosophie, mais comme si le travail philosophique lui-même était en question, comme si la prière en représentait à la fois le mouvement inaugural et l’accomplissement. (…) Charles-Saget Annick. Lire et/ou télécharger l’article
La notion de temps, de l’antiquité au christianisme
On ne trouvera guère de philosophe qui n’ait tenté de répondre à la question : « qu’est-ce que le temps ? ». Dans l’antiquité, Aristote, Plotin et, au début de l’ère chrétienne, Augustin, ont porté toute leur attention sur ce problème. On retient trois philosophes dissemblables, mais unis par une tradition commune ayant sa source chez Platon, et qui définissent, par leur position positive ou négative, l’interdépendance du temps et de l’éternité. Platon, dans son Timée, avance sa théorie sur la formation de l’univers et explique que le temps fut engendré par le démiurge simultanément avec le ciel, afin de rendre le cosmos encore plus semblable à son modèle. Ce modèle étant éternel, le démiurge s’efforça de rendre éternel tout l’univers par l’entremise d’une image mobile de l’éternité, qui se mouvait suivant les lois des nombres. Et pour conférer l’existence au temps, le démiurge fit naître le soleil, la lune et les cinq planètes, dont la fonction est de distinguer et de conserver les nombres du temps. Les divisions du temps en jours et nuits, mois et années, qui n’existaient pas avant la naissance du ciel, sont des parties du temps qui imitent l’éternité et progressent en cercle suivant le nombre. Ainsi Platon fut le premier penseur à avoir opposé le temps à l’éternité extratemporelle. Il faudrait entendre ici le verbe « opposer » dans l’acception de comparer, car, pour Platon, le temps est un semblant d’éternité, qui ne se distingue pas de l’éternité, mais qui lui ressemble dans toute la mesure possible. (…) Koutlouka Maria E. Lire et/ou télécharger l’article
La ténèbre (γνόφος) : l’héritage alexandrin de saint Grégoire de Nysse.
Si le néoplatonisme païen est plus original, parce que premier chronologiquement, le néoplatonisme juif, avec Philon, et le néoplatonisme chrétien, avec notamment Origène, Grégoire de Nysse et le Pseudo-Denys, est plus riche ; car il conjugue les traditions bibliques et néo-testamentaires avec la tradition platonicienne. Et il convient de remarquer que ce néoplatonisme judéo-chrétien a été beaucoup moins cultivé par les historiens de la philosophie. Je me pencherai ci-après sur un seul mot : γνόφος, la ténèbre. Et je verrai comment, en un premier temps, le comprend saint Grégoire de Nysse ; et comment, en un second temps, sa pensée s’enracine dans une tradition alexandrine. Il s’agit donc, dans ce titre ambigu, de l’héritage recueilli non pas de saint Grégoire, mais par saint Grégoire. Je signale que mon exposé n’est pas tout à fait original : il dérive des travaux du Père (puis Cardinal) Jean Daniélou, qui m’honorait de son amitié, et auquel je suis heureux de rendre ainsi un hommage posthume. (…) Gobry Ivan. Lire et/ou télécharger l’article
La renaissance du platonisme selon Marsile Ficin
Lorsqu’en 1439 débarquèrent en Italie des délégués byzantins venus négocier avec l’Église romaine une réunification que semblait imposer l’imminente menace turque, Marsile Ficin n’était encore qu’un garçonnet de six ans, mais il se trouva justement que son futur protecteur Cosme de Médicis, gonfalonier de la république florentine depuis ces six dernières années, avait charge d’accueillir les représentants de l’« orthodoxie » et que figurait parmi ceux-là, assez paradoxalement, le maître de la tendance « helléniste », ce Gemiste Pléthon dont la rencontre avec Cosme, si l’on en croit Ficin, aurait déjà, par la vertu d’une faste configuration astrale, conditionné la fondation de l’Académie platonicienne de Careggi. Par le nom même qu’il s’était donné, ce singulier personnage se présentait comme successeur de Platon et de Plotin. A sa mort, un autre Grec, Jean Bessarion, lequel deviendrait l’ami de Nicolas de Cues et, avec lui, cardinal de Curie, allait écrire que, contrainte par « les décrets d’Adrastée », à revenir sur terre, l’âme du grand Platon « avait repris corps et vie » chez Pléthon. Singulière assertion de la part d’un théologien moins paganisant lui-même que Gémiste, mais, au delà de l’emphase rhétorique et des convenances familiales (Bessarion s’adressait aux enfants du vieux défenseur de l’« hellénisme »), la formule met en lumière un des aspects de la « Renaissance » telle que la concevaient Ficin et ses amis, car la « métensomatose » ici n’est qu’une manière de figurer l’authentique résurgence d’un passé exemplaire. (…) de Gandillac Maurice. Lire et/ou télécharger l’article
De quelques aspects du « platonisme » de Montaigne
« J’estois Platonicien. . . , avant que je sçeusse qu’il y eust de Platon au monde »
(Essais, III, XII, 1043 C).
Parler du platonisme de Montaigne risquerait de passer pour une boutade aux yeux de ceux qui se souviennent de la fameuse déclaration de l’auteur dans les Essais de 1580 où il affirme qu’il ne s’est pas « rongé les ongles à l’estude de Platon et d’Aristote… » (I, XXVI, 146 A). L’édition de 1588 trahit une meilleure connaissance du Banquet et de L’Apologie qui semblent avoir servi à l’auteur dans la peinture du portrait de Socrate dans les essais avancés. C’est à partir de 1588 que Montaigne fait de l’œuvre de Platon son livre de chevet. Les allusions à la République, aux Lois et au Timée de même que les nombreuses mentions d’autres dialogues montrent que Montaigne ne s’est pas uniquement borné à attaquer les grands ouvrages de Platon. Nous essaierons d’indiquer dans ce qui suit les lignes de force de la pensée de Platon qui ont stimulé la réflexion de Montaigne au cours de la composition et de la relecture de son livre. (…) Christodoulou Kyriaki. Lire et/ou télécharger l’article
Notre perception du monde extérieur selon Plotin et Berkeley
Cet exposé sert, d’une certaine façon, de pendant à un article précédent sur Plotin et Descartes, où j’ai proposé la thèse — un peu paradoxale, il est vrai — que Plotin avait jusqu’à un certain point anticipé, quoique dans une optique assez différente, la forte antithèse qu’on trouve chez Descartes entre res cogitans et res extensa. Ce que je voudrais faire maintenant, c’est examiner les vues de Plotin sur la condition des objets sensibles, et sur la perception que nous en avons, en comparant sa doctrine à celle du philosophe irlandais immatérialiste, George Berkeley, dans le but de fournir une nouvelle perspective pour la réception des idées de Plotin. Je ne propose point ici avec certitude l’influence significative de Plotin sur Berkeley (quoiqu’il soit assuré que Berkeley avait quelque connaissance de Plotin, et même que, dans sa vieillesse, il a adopté le néoplatonisme, au moment même de composer Siris) ; je veux seulement comparer les procédés philosophiques pour la « déconstruction » du monde matériel objectif que ces deux philosophes partageaient également.(…) Dillon John. Lire et/ou télécharger l’article
Interprétation de la durée chez Plotin et Bergson
Dans son sens littéral, durée signifie ce qui résiste à l’usure, au vieillissement et aux multiples causes de destruction. Bergson « extrêmisera » ce sens parce que, pour lui, le passé ne passe pas ; durer c’est bien continuer à être, persister à être, car rien ne peut détruire ce qui a été, mais il adjoint à la permanence le mouvant : lorsque l’instant présent s’ajoute aux précédents, le total n’est plus le même. L’être ne trouve sa vérité qu’au-delà de lui-même, une fois dépassées sa projection dans l’espace, sa compréhension dans un devenir linéaire. Aussi, Bergson peut-il dire, dans les Données Immédiates, ch. III, p. 68, comme dans L’Évolution Créatrice, I, 495, que « un être est à la fois identique et changeant ». Chez Plotin, la durée appartient à la troisième hypostase, l’Âme, dont l’essence consiste à vivre dans le temps et à en sentir l’écoulement : « L’Âme agit dans la durée, elle tend vers l’avenir, elle se penche aussi sur son passé » (IV, 4,16). Ce sentiment de la durée, présent dans le système plotinien, rompt avec la philosophie grecque dont le système intellectualiste est la négation de la durée qui, entraînant le changement, perturbe les ordres immuables. C’est ce que Bergson salue chez Plotin, une pensée métaphysique qui se substitue à la pensée rationnelle, une originalité par rapport à elle qui aboutit à l’intuition d’un courant dynamique, d’une vie spirituelle présente partout tout entière et qui ne se divise pas avec l’espace où elle agit, dont l’extension devient indépendante de l’étendue et qui se rapproche de l’élan vital tel qu’il s’est imposé à Bergson (Évol. Cr., p. 279). Ainsi la genèse de l’Univers sensible, chez Plotin, prend l’aspect du mouvement, de la durée, elle ressemble à une vaste évolution cosmique dont le mouvement continu d’expansion s’exprime par l’ultime procession de la dernière hypostase. (…) Pigler-Rogers Agnès. Lire et/ou télécharger l’article
Plotin et S. J. Perse : la rencontre lumineuse
Je subis toujours l’envoûtement de la parole poétique, surtout quand elle dévoile le mystère d’une identité inattendue, celle « de l’Unité recouvrée sous la diversité » (413) dans la dimension passionnelle de la maturité du poème où le grand poète chante les mots « sous leur charge magique comme : noyaux de force et d’action, comme foyers d’éclairs et d’émissions, portant au loin l’initiative et la prémonition » (417). Il s’agit, bien entendu, de S. J. Perse, du poète qui croit intensément que le langage est notre devoir urgent, la possibilité secrète d’une illumination intime ; car, en alimentant et en exposant à la fois l’ouverture ontique de l’homme qui, « poétiquement pourtant demeure sur cette terre », la parole se dévoile comme le signal de la conaissance du monde avec l’âme humaine, comme le signe de son éveil, comme le point de départ d’une flamme enracinée, au non-dit, au non-révélé, à l’énigme qui s’expose, mais en tant qu’énigme. Ainsi le dire poétique, en s’avérant comme le résultat d’une contemplation, car « toute création véritable est le résultat d’une contemplation (III, 8, 3) et aucune contemplation n’est inféconde », se montre comme le témoin du contact instantané ; et, plus encore, le témoin du permanent désir de ce contact avec l’essence identique de toutes les choses, avec la transparence primordiale qui démontre l’âme comme une intimité recueillant tout en soi, exposée « à la lumière resplendissante du Sacré qui s’est donnée au poète lors de son voyage à l’étranger » c’est-à-dire dans sa profonde intériorité. (…) Spantidou Constantina. Lire et/ou télécharger l’article
« Τῆς ψυχῆς ἐπιμελεῖσθαι ». Jan Patocka, Platon et la phénoménologie
« On parle sans cesse de l’Europe au sens politique, mais on néglige la question de savoir ce qu’elle est au juste et ce dont elle est issue […], si nous voulons aborder la question de notre situation présente, il nous faut d’abord comprendre que l’Europe est un concept qui repose sur des fondements spirituels ».
Par ces mots se clôt la neuvième des onze conférences prononcées par Jan Patocka à Prague, en 1973, dans le cadre d’un séminaire privé intitulé « Platon et l’Europe ». De l’auteur de ces conférences je rappellerai simplement qu’il fut un penseur dissident, un « hérétique » comme il le disait lui-même, élève de Husserl, de Fink et de Landgrebe, et qu’il ne put exercer, en tant que Professeur ordinaire en Faculté de philosophie, que durant quelques mois, en 1968, après le Printemps de Prague. Il mourut en 1977, à l’âge de soixante-dix ans, des suites de ce qu’il est convenu d’appeler pudiquement un « interrogatoire » de police. L’Europe donc, cette Europe dont on parle sans cesse, est au cœur de la méditation philosophique de Jan Patocka ; elle l’est, même lorsqu’il commente l’œuvre de son compatriote Edmund Husserl, qui fut incontestablement son maître ; même lorsqu’il lit Platon, qui fut le philosophe antique avec lequel il entretint le dialogue le plus constant. L’Europe, son histoire et son destin métaphysique constituent le centre auquel l’herméneutique de Patocka ne cesse de revenir, car la philosophie est à ses yeux un acte intimement lié à la situation du philosophe. (…) Rodrigo Pierre. Lire et/ou télécharger l’article
Platon et Plotin sur les parties de l’autre (résumé)
« La matière est-elle identique à l’altérité » ? Plotin se pose cette question au commencement du dernier chapitre de son traité Sur la matière (Enn. II 4 [12] 16). « Plutôt non », répond-il. « Elle est en revanche identique à cette partie de l’autre qui s’oppose aux êtres proprement dits ». En s’exprimant de la sorte, Plotin fait allusion à un passage du Sophiste (252 e 2-3). Son allusion repose pourtant sur un texte qui n’est pas attesté dans les manuscrits. Cette différence textuelle implique un changement fondamental de doctrine, dont les éditeurs modernes ne se sont pas avisés. O’Brien Denis. Lire et/ou télécharger l’article
Liberté, créativité et l’un chez Plotin (résumé)
C’est principalement dans Ennéades 6.8 que Plotin parle de « liberté » et de « créativité », bien que les deux concepts apparaissent dans plusieurs autres passages à travers les Ennéades. La liberté en tant que telle et ses dérivés, est mentionnée quatre fois seulement dans tout L’opus selon la Concordance. Après une brève discussion sur « la liberté » chez Plotin, dans laquelle je soutiens que « la liberté » est le thème central dans la philosophie de Plotin, et en me basant sur les œuvres de Vincenzo Cilento et de John Rist, j’établis le lien entre la liberté et la créativité. Cilento voit dix significations possibles au mot « liberté » chez Plotin, et je justifie l’idée que la liberté dans son sens spécifiquement plotinien, jointe à la créativité, enrichit et éclaircit une grande partie de la pensée éthique et métaphysique de Plotin. En outre, je soutiens que cette idée clarifie et ajoute une perspective nouvelle aux discussions modernes sur la créativité en tant que telle, aussi bien que sur de récentes découvertes dans les nouvelles sciences physiques et biologiques pour lesquelles je me réfère à la créativité dans un sens cosmique. Mon but principal est de montrer la pertinence actuelle de la philosophie de Plotin, sa compétence et son originalité plutôt que de présenter une discussion philosophique et philologique détaillée de quelque passage spécifique ou d’une portion de son œuvre. Westra Laura. Lire et/ou télécharger l’article
Tables des matières
- Avant-propos
- E. MOUTSOPOULOS, Le modèle platonicien du modèle ontologique plotinien
- J.-F. MATTEI, Du mythe hésiodique des races au mythe homérique des muses dans la République
- A. THIVEL, Hippocrate vu par Platon
- N.-L. CORDERO, Les circonstances atténuantes dans le parricide du Sophiste de Platon
- J.-M. GABAUDE, Les Ennéades et l’expression poétique de la métaphysique
- L. JERPHAGNON, Plotin, ou l’anti-Narcisse
- M. DIXSAUT, Le sens d’une alternative (Phédon, 78 b) ou : de l’utilité des commentaires néo-platoniciens
- A. CHARLES-SAGET, Le philosophe et le sacré. Réflexions sur le caractère hiératique de la philosophie chez Jamblique
- M. KOUTLOUKA, La notion de temps, de l’antiquité au christianisme
- I. GOBRY, La ténèbre : l’héritage alexandrin de saint Grégoire de Nysse
- M. DE GANDILLAC, La renaissance du platonisme selon Marsile Ficin
- K. CHRISTODOULOU, De quelques aspects du « platonisme » de Montaigne
- J. DILLON, Notre perception du monde extérieur selon Plotin et Berkeley
- A. PIGLER-ROGERS, Interprétation de la durée chez Plotin et Bergson
- C. SPANTIDOU, Plotin et S. J. Perse : la rencontre lumineuse
- P. RODRIGO, Jan Patocka, Platon et la phénoménologie
- D. O’BRIEN, Platon et Plotin sur les parties de l’autre (résumé)
- L. WESTRA, Liberté, créativité et l’un chez Plotin (résumé)
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