Publications Journal des Savants : Janvier-Juin 2020
360 p., 27 ill. Parution : juin 2020 Abonnement : l’année 2020 en 2 fasc.,
Présentation
« Vestiges et indices nouveaux de l’hellénisme dans l’Orient lointain », par Henri-Paul FRANCFORT, membre de l’Académie.
Cet article relève les évolutions de l’hellénisme de la fin de la domination grecque à l’avènement de l’empire kouchan, entre la Bactriane et le Gandhāra, à l’époque Saka-Yuezhi (130 av. J.-C.-100 ap. J.-C. environ). S’appuyant sur des documents archéologiques et des œuvres des arts mineurs (notamment orfèvrerie, palettes gandhāriennes et leurs rapports avec la littérature, la poésie et le théâtre) et monumentaux (peintures, tapisseries), il montre des prolongements et des transformations en Bactriane ainsi que des transferts vers l’Inde du Nord-Ouest (Pakistan). Par ailleurs, il identifie un net renouveau gréco-romain d’origine méditerranéenne au cours de l’époque julio-claudienne, à travers l’empire parthe. Ces transformations se produisent alors que se mettent en place les arts des steppes, de l’Iran et de l’Inde qui supplanteront bientôt la tradition grecque.
« Héraldique, filiation et alliance au XIIIe siècle », par Michel Nassiet.
On revient ici sur les pratiques héraldiques qui faisaient suite à la succession à une seigneurie par une femme héritière ; aux XIVe-XVe siècles, elles constituaient des signes qui formaient système. Il s’agit ici de préciser quand, au XIIIe siècle, sont apparus et les signifiants, et les éléments de signification associés, leurs sèmes. Dans le premier type où, à la suite d’une alliance inégale, le patrimoine de l’épouse surpassait nettement celui du mari, il arrivait dès la fin du XIIe siècle que l’armoirie seule de l’héritière fut transmise. Dans le second, où l’alliance avait été homogame et où les deux patrimoines étaient équivalents, on a parfois conjoint, momentanément, les deux armoiries : sur le sceau, dans les années 1190, puis à l’intérieur de l’écu, en un parti porté par un homme (un cas en 1230), ou une fusion (forme en faveur vers 1250, mais ambiguë). La maison de Castille a particulièrement été inventive en la matière vers 1247. Dans la décennie 1260, les partitions d’héritières commençaient à se diffuser mais n’étaient pas transmises à la génération suivante : ce n’étaient pas encore des signes de filiation. En 1284, le parti Navarre-Champagne semble le premier à avoir été transmis. Peu après, au cours des décennies 1290-1300, une même maison a recouru à des pratiques différentes de façon cohérente, indice que dorénavant, tout leur potentiel de signification était clairement conçu : le système était cristallisé.
« Dans la vieille tour d’Aigues. Un relevé par Peiresc de l’emblématique peinte dans le château de la Tour d’Aigues (Vaucluse) », par Hélène Lézaud et Henri LAVAGNE, membre de l’Académie.
« Julien-David Le Roy (1724-1803). Correspondance avec le marquis de Voyer (1766-1777) », par Philippe Cachau.
Issu d’une famille de Touraine, fils d’un horloger du roi réputé, Julien-David Le Roy (1724-1803) fut le grand découvreur des antiquités de la Grèce au XVIIIe siècle, alors sous le joug turc. Membre des Académies royales d’Architecture et des Inscriptions et Belles-Lettres, il publia en 1757 : Ruines des plus beaux monuments de la Grèce (…), ouvrage fondamental à l’origine du goût grec de la seconde moitié du siècle. Une correspondance avec Marc-René de Voyer d’Argenson, marquis de Voyer (1722-1782), l’un des mécènes les plus influents de son temps, proche des Orléans, retrouvée dans le fonds d’Argenson de l’université de Poitiers en 2013, nous révèle la véritable personnalité de cette grande figure des arts, voire des sciences, du XVIIIe siècle. Au-delà de la carrière et de l’activité de l’académicien, mieux connues depuis les travaux de Christopher Drew Armstrong, c’est une facette inédite du personnage qui apparait dans ses trente-deux missives, rédigées entre 1766 et 1777 : l’homme, ses angoisses, ses attentes, son goût de la politique, du théâtre et des lettres, son activité de conseiller artistique auprès du marquis, tant à Paris qu’à son domaine des Ormes en Touraine, ses liens avec les architectes Chambers, De Wailly (notamment dans la fameuse affaire de la nomination de celui-ci à l’Académie d’architecture en 1767), et bien d’autres personnalités du temps. Surtout apparait un versant méconnu : sa parfaite connaissance de l’Angleterre au point d’espionner ses côtes pour le compte de la monarchie française. Une correspondance qui éclaire sur bien des aspects du siècle des Lumières.
« Le classement du tumulus de Soings-en-Sologne (Loir-et-Cher) sur la liste de 1840 : une énigme en partie résolue ? », par Raphaël Angevin et Valérie Schemmama.
Le tumulus de Soings-en-Sologne (Loir-et-Cher) occupe une place à part sur la première liste des Monuments historiques établie en 1840. S’il fait figure d’exception par sa nature et sa chronologie, il se distingue également de ce corpus par un double caractère d’originalité qui tient aux motivations de son classement et aux conditions de son introduction. Cette singularité prend corps dans l’enquête ouverte en 1837 auprès des Préfets de départements par le Ministre de l’Intérieur C. de Montalivet : elle vise à compléter le travail de l’inspecteur des Monuments historiques et à arrêter une liste de monuments « pour lesquels des secours sont demandés ». Dans le département de Loir-et-Cher, cet épisode met en lumière une personnalité centrale, Louis de la Saussaye (1801-1878), personnalité savante incontestée et fouilleur de Soings-en-Sologne. Dès 1838, ce dernier alerte la Commission des Monuments historiques sur les risques de destruction des « monuments gaulois » par la création du futur réseau routier. En 1840, le tumulus de Soings est le seul d’entre eux à intégrer la liste définitive, alors même qu’il était totalement absent des documents préparatoires. L’analyse minutieuse des archives de L. de la Saussaye et des rapports d’enquêtes préfectorales permet de restituer l’histoire chaotique de cette protection et de formuler une hypothèse d’attribution pour ce monument. En dépit de références confuses, la mention de 1840 renvoie selon toute vraisemblance à la « Butte du Chastellier », fouillée en 1826 par L. de la Saussaye et détruite en 1864 par l’ouverture du Chemin agricole n° 7 reliant Contres (Loir-et-Cher) à Aubigny-sur-Nère (Cher) dont l’aménagement avait été planifié près de trente ans plus tôt, sous la Monarchie de Juillet. Exclu des listes de révision des Monuments historiques (1862, 1875, 1887), le tumulus de Soings est finalement réintégré à la faveur de la promulgation de la loi du 31 décembre 1913 et du processus de régularisation qu’elle entraîne. In fine, son classement éclaire toute l’ambiguïté du cadre réglementaire défini dans le second tiers du XIXe siècle et de son application aux vestiges archéologiques. Par contraste, cet exposé met ainsi en lumière l’inadaptation d’un dispositif de reconnaissance des Monuments historiques qui se détache nettement de la protection physique posée en principe par les lois de 1887 et 1913 et qui n’a pas permis de mettre un terme à des destructions irréversibles conduites « par cause d’ignorance et de précipitation », selon les propres mots de Guizot (1830).