Publications Journal des Savants : Juillet-Décembre 2022
248p., 16 ill. Parution décembre 2022. Abonnement : l’année 2022 en 2 fasc.,
Présentation
« Un philosophe stoïcien fantôme (Σιμίου Στωικοῦ) et un petit trésor de la langue grecque sur la faculté de concevoir (γνώμη) : Critias, Antiphon, Platon, Lysias, Eschine le Socratique, Hypéride. Galien, Commentaire à l’Officine du médecin d’Hippocrate I, 3 (Kühn XVIII/B, 649-657) nouvellement édité » par Jacques JOUANNA, membre de l’Académie.
Ce prologue, édité ici de façon critique, a été commenté par Galien qui en a montré l’importance pour l’histoire de la médecine. C’est selon lui l’énoncé de la méthode comparative entre le semblable et le dissemblable, pour établir le diagnostic de la maladie, préalable aux deux autres moments fondamentaux de l’art médical, le pronostic et la thérapeutique. Le long commentaire que le médecin philosophe de Pergame, qui vécut à Rome au IIe siècle après J.-C., fait de ce prologue apporte à l’histoire de la pensée et de la langue grecques des informations importantes, à condition de l’aborder non dans l’édition traditionnelle de Kühn datant du XIXe siècle, mais dans la tradition manuscrite, et aussi à condition de ne pas s’en tenir à des fragments de texte, mais à une lecture continue attentive aux ensembles.
« Sur la pratique des anciens alchimistes grecs », par Robert HALLEUX, associé étranger de l’Académie, et Blanche El Gammal.
C’est l’illustre chimiste Marcellin Berthelot qui, le premier, mit en rapport les pratiques des artisans gréco-égyptiens et les origines de l’alchimie, c’est-à-dire l’art chimérique de produire l’or, l’argent, les pierres précieuses et la pourpre à partir de matériaux vils. Comme il le rapporte lui-même :
« Depuis bien des années, je réunissais des notes sur l’histoire de la chimie, lorsque le voyage que je fis en Orient en 1869, à l’occasion de l’inauguration du canal de Suez, la visite des ruines et des temples de l’ancienne Égypte, depuis Alexandrie jusqu’à Thèbes et Philæ, l’aspect enfin des débris de cette civilisation qui a duré si longtemps et s’est avancée si loin dans ses industries, reportèrent mon esprit vers les connaissances de chimie pratique que celles-ci supposent nécessairement. Les alchimistes prétendaient précisément faire remonter leur science à l’Égypte. »
Dans les années qui suivirent, il eut connaissance d’un papyrus grec inédit conservé à l’Université de Leyde et contenant des recettes techniques, dont il ne put se procurer que des extraits. La lecture des grandes histoires de la chimie de Hermann Kopp et de Ferdinand Hoefer le mit sur la piste des manuscrits grecs de la Bibliothèque nationale, spécialement les Parisini Graeci 2325 et 2327, qu’il entreprit de déchiffrer avec l’assistance de Henri Omont. Il put emprunter à l’Ambrosienne le célèbre Marcianus Graecus 299. Achevé le 15 décembre 1884, son grand livre, Les Origines de l’alchimie, parut chez Steinheil en 1885. Berthelot y développait à loisir sa thèse des origines techniques de l’alchimie, inspirée par la succession positiviste des trois états.
« De la difficulté à discerner le vrai du faux : enquête sur les premiers privilèges pontificaux d’exemption de l’abbaye de Marmoutier (1087-1145) », par Jean-Hervé Foulon.
Le monastère de Marmoutier est resté célèbre non seulement par l’importance de son réseau prieural, mais également par le grand nombre d’actes encore conservés en originaux dans les archives locales. Dès les années 1060-1116, des cartulaires régionaux sont constitués, reflétant un souci de lisibilité et d’aide-mémoire à travers une reproduction soigneuse qui apparaît dans les témoins subsistants : Dunois, Vendômois et De servis. Au milieu du XIIIe siècle, c’est au tour des prieurés de rédiger de façon non coordonnée de tels cartulaires : cas de Vivoin (Sarthe), Bellême (Perche) et Chemillé (Anjou) qui ont été préservés jusqu’à nos jours 3. L’ampleur de la tradition manuscrite se déploie enfin à travers les nombreuses copies d’époque moderne faites par les grands érudits des XVIIe et XVIIIe siècles : les mauristes Luc D’Achery († 1685) ; Edmond Martène († 1739), le grand historien de Marmoutier, dont les volumes de preuves sont conservés à la BnF (ms. lat. 12878-12880) et à Tours (BM, ms. 1384) ; le Recueil de D. Le Michel sur Marmoutier, lat. 12875 (xviie s.) ; les papiers de Dom Ruinart et Dom Coustant compilés entre 1701-1708 (BnF, ms. lat. 16989-16990) ou
bien les copies partielles faites dans le manuscrit BnF, lat. 5441-3 par François Roger de Gaignières († 1715).
« Les grands et leur noblesse au milieu du XVe siècle : l’Armorial de Guillaume Revel, exaltation d’un ordre féodal et princier », par Olivier Mattéoni.
La question des rapports entre le roi et les princes au royaume de France au XVe siècle est essentielle. Malgré la nature toujours très aristocratique du pouvoir royal, ces rapports se sont souvent déclinés sous la forme de la revendication et de l’opposition. Ce qui est en jeu dans les tensions nobiliaires qui scandent le XVe siècle est la place désormais dévolue aux grands et aux princes au sein du royaume, dans la nouvelle configuration politique que le roi dessine à partir des années 1440. Avant Louis XI, Charles VII a œuvré à une exaltation du pouvoir royal. De la lecture du livre de Philippe Contamine, Charles VII. Une vie, une politique, il ressort que le règne de ce souverain a été « une étape importante dans la construction de “l’empire du roi” ».
Dans sa conclusion, l’historien énumère les éléments notables de cette dynamique : « un concept de souveraineté mieux défini, la règle de succession à la Couronne singulièrement renforcée, une meilleure utilisation de l’espace du royaume et de ses ressources humaines, en matière fiscale et militaire, un consentement beaucoup plus intériorisé des Français à l’impôt […], d’où des ressources financières plus régulières […], une justice souveraine rétablie dans sa dignité, le refus de tout recours systématique aux états généraux, un sentiment identitaire plus fort entre les sujets du roi […], un relatif apaisement des tensions politiques » 5. Après cette énumération, Philippe Contamine écrit que la « rançon [de tout cela] serait la fin d’une certaine liberté aristocratique », avant de citer Alexis de Tocqueville, dans l’Ancien Régime et la Révolution : « J’ose affirmer que, du jour où la nation fatiguée permit aux rois d’établir l’impôt général sans son concours et où la noblesse eut la lâcheté de laisser taxer le tiers état pourvu qu’on l’exemptât elle-même, de ce jour-là fut semé le germe de presque tous les vices qui ont travaillé l’Ancien Régime pendant le reste de sa vie et ont fini par causer violemment sa mort.
« La vie de Ratnamati dans le Xu Gaoseng Zhuan et la transmission de savoirs mathématiques en contexte bouddhique », par Satyanad Kichenassamy et Ma Ruixin.
On montre, par l’analyse d’un texte chinois jamais traduit, que les textes bouddhiques fournissent des éléments nouveaux sur l’évolution des idées mathématiques en Inde comme en Chine, et qu’une analyse des sources chinoises mathématiques du point de vue de l’indianisme permet de répondre à des questions relatives à l’Inde comme à la Chine. Nous situons d’abord cette étude dans le cadre de
la compréhension des épistémologies mathématiques indienne et chinoise, et rappelons quelques éléments de contexte. Nous présentons ensuite trois textes et leur traduction : la biographie de Ratnamati, comprenant le défi mathématique qu’il lance à Qimuhuaiwen ; la biographie de Qimuhuaiwen, également en chinois ; et enfin un passage célèbre de l’histoire de Nala et Damayanti. Nous analysons brièvement à ce propos le contenu mathématique de ces passages, et en tirons les enseignements. Une conclusion résume les apports de l’étude, et les place dans une perspective plus vaste.
Les mathématiques indiennes et chinoises ont fourni certains des éléments décisifs de la synthèse provisoire, élaborée dans les deux derniers siècles, que l’on appelle mathématique 3 moderne. Cette dimension fut perçue très tôt par Colebrooke. Son ouvrage classique 4 mettait en effet en évidence dès 1817 les origines indiennes probables de l’algèbre de la Renaissance. Nous savons maintenant que la vision des mathématiques fournie par l’enseignement élémentaire est dans une large mesure une fiction élaborée dans les deux derniers siècles, dans l’espoir de rendre accessibles les contenus utiles au plus grand nombre. C’est ainsi que le « théorème de Thalès » n’est pas appelé ainsi dans la plupart des pays d’Europe et d’ailleurs, Euclide n’associe aucun nom aux théorèmes de ses Éléments.
« Du bon usage des livres : Aḥmad al-Manṣūr, mécène de la bibliothèque Qarawiyyīne », par François DÉROCHE, membre de l’Académie, et Lbachir Tahali.
Le XVIe siècle constitua un moment important pour l’histoire du Maroc qui traversa des périodes contrastées de splendeur et de détresse. Au début du siècle, le pays était divisé dans un contexte international menaçant : d’une part il représentait un objectif pour les Ottomans dont le pouvoir s’étendait en Afrique du Nord et, de l’autre, les puissances ibériques poursuivaient leurs tentatives pour prendre pied sur ses côtes afin de mieux se protéger de ce voisin redouté. Une nouvelle dynastie réussit alors à s’imposer : les Saadiens, qui règneront sur le Maroc pendant la deuxième moitié du XVIe siècle et jusqu’en 1069/1659. Jouant sur leur statut de descendants du prophète Muḥammad ou chérifs (sharīf ), ils se présentèrent comme les promoteurs d’un mouvement de lutte ( jihād ) visant à expulser les Espagnols et les Portugais de leurs enclaves littorales et récupérèrent habilement la popularité croissante que les mouvements mystiques, en particulier celui de la Jazūliyya, connaissaient dans le pays pour appuyer leur action. Partant du sud, où ils disposaient d’une base solide, ils s’imposèrent progressivement : après avoir pris Marrakech en 930/1524, ils continuèrent leur avancée vers le nord où les derniers Waṭṭassides s’efforçaient de sauvegarder leur pouvoir depuis leur capitale de Fès.
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